Paris Opera Competition 2022, hommages et palmarès à Garnier
La soirée rend un évident et vibrant hommage aux deux fondateurs de ce concours : Isabelle de Montaigu ayant récemment rejoint Pierre Vernes (tragiquement décédé en 2017). La plus belle preuve de leur travail se manifeste avec cette édition qui a dû être reportée en raison du Covid mais se tient bel et bien, et au Palais Garnier, afin de mettre à l'honneur les générations futures d'interprètes. Le public passe ainsi une soirée emplie d'émotion et d'espérance.
9 finalistes de 10 nationalités (parmi lesquelles deux britanniques et deux bi-nationales) ont été invités à Paris, parmi plus de 400 candidatures initiales et plus de 50 demi-finalistes auditionnés en visio-conférence (notre article détaillé).
La soirée est présentée par Béatrice Uria-Monzon et l'animateur radio Jean-Michel Dhuez qui mettent en avant la spécificité revendiquée comme unique de ce concours : le fait qu'il évalue non seulement les compétences vocales des candidats mais également leur jeu scénique. De fait, il a été demandé à Florence Alayrac de faire travailler le jeu des interprètes et de proposer des transitions entre les morceaux, le tout étant même présenté comme une mise en scène d'opéra imaginaire. Cela permet d'enchaîner sans temps morts les différents morceaux, d'autant que chaque interprète participe à un solo et à des ensembles, mais il est toutefois compliqué d'évaluer le plein potentiel dramatique des interprètes : ils doivent souvent rester immobiles lorsqu'ils chantent tandis que d'autres candidats doivent se mouvoir silencieusement pour refléter les émotions chantées (et le jeu est souvent à contre-sens de ce qui est chanté : les figurants devant paraître réjouis sur un morceau tragique, et réciproquement). Le passage le plus problématique est certainement le duo "Parigi, o cara" de La Traviata chanté ici par deux couples différents (le ténor heureux avec une autre femme silencieuse, la soprano triste avec un autre homme silencieux), le tout sur les quais de scène. Car le plateau reste vide, les candidats habillés de tenues d'après-guerre et le tout devant des projections vidéos de lieux touristiques parisiens. Certains liens entre le morceau et le lieu choisis peuvent surgir par diverses métaphores (notamment Hänsel et Gretel chantant devant le Moulin Rouge, comme s'il s'agissait de la maison de la sorcière), d'autres rencontres sont incongrues : Lakmé dans un salon châtelain, La Pucelle d'Orléans aux Buttes-Chaumont, Valentin devant le Sacré-Cœur (Marguerite silencieusement agenouillée avec lui), Hamlet et Ophélie devant la Fac de Droit.

Cet accent mis sur le lien entre chant et jeu (et l'équilibre parmi le jury de connaisseurs des voix et du théâtre) explique vraisemblablement que le 1er Prix échoie à Anna Harvey. La mezzo-soprano du Royaume-Uni associe avec le plus d'homogénéité les dimensions vocales et scéniques de "Parto, Parto". Pourtant, la continuité scénique de la soirée la cantonne à un rôle et des attitudes de garçonne à la palette dramatique très réduite (toujours renfrognée ou souriante). Elle joue et chante néanmoins toutes les intentions de son texte, avec des accents dans le médium, des montées bien négociées vers l'aigu mais un manque complet de graves et peu d'agilité dans les vocalises.

Aytaj Shikhalizada (mezzo-soprano, Azerbaïdjan) reçoit -seulement- le 2ème Prix. Son Italienne à Alger (ou plutôt Place des Vosges) tient fermement son sac à main et sa ligne la menant vers un aigu lyrique rayonnant, de ceux à faire gagner un concours d'autant qu'elle maintient ses qualités de chant dans l'agilité des passages rapides. En duo, en Fiancée du tsar, elle déploie des médiums et graves nourris, soutenant un aigu intense et l'intensité amoureuse.

Serena Sáenz Molinero (soprano d'Espagne) remporte le Prix du Public et le 3ème Prix en ayant marqué les esprits dès le début du concert : c'est elle qui ouvre la soirée, et en chantant rien moins que Lakmé (Delibes) déployant immédiatement et a cappella des vocalises mordantes dans tout l'ambitus (notamment agile dans les cascades descendant du suraigu). Sa prononciation du français incompréhensible reste toutefois à travailler.

Etonnamment, George Vîrban (ténor de Roumanie) ne remporte aucun prix alors qu'il fait un grand écart vocal très impressionnant : entre un Alfredo ravi et la profondeur nostalgique de Lenski. Il passe ainsi du bel canto italien funambule avec son aigu intense à la chaleur d'un timbre duveteux, l'articulation serrée arrondissant et couvrant plus encore. George Vîrban rappelle ainsi la richesse du répertoire lyrique mais aussi de son pays la Roumanie (et de sa tradition de chanteurs d'opéra), slave et latine.
William Desbiens (baryton du Canada) déploie en duo l'intensité d'Hamlet par une splendide articulation et une grande noblesse, y compris dans les sommets lyriques. Les récompenses lui échappent sûrement de peu : en raison de la fatigue manifestée à la fin de son grand air soliste "Largo al factotum" du Barbier de Séville. Le rythme est toutefois soutenu et la ligne vocale reste intéressante pour ce Figaro devant le Panthéon, que la mise en scène transforme en Don Giovanni dansant le flamenco.

Maria Carla Pino Cury (soprano du Chili) est une Ophélie rayonnante mais à la candeur presque d'opérette, peu audible dans les aigus et au français tendu. Elle offre un timbre mesuré mais jouant de sa lumière avec couleurs et justesse sur toute la tessiture. L'ambitus déploie diverses tendresses mais gagnera à se déployer davantage. Maria Brea (soprano du Vénézuela) sait monter en matière vocale à mesure qu'elle monte en volume et dans l'aigu. Elle est une Louise délicate sur toute la tessiture et son jeu, avec le contrôle de fines couleurs aiguisées, un grave agile, le tout culminant en lyrisme de plus en plus marqué. Deniz Uzun (mezzo-soprano d'Allemagne) sait jouer de l'intensité dans le médium de sa voix, ne reste qu'à en faire de même aux deux bouts de sa tessiture et du spectre des nuances (dans le forte et le piano). Mais si la voix se serre c'est aussi pour trouver l'intensité de ses graves poitrinés et des aigus. Elle est toutefois peu agile et ses notes ne sont pas pleinement posées (d'autant qu'elle doit danser le disco) dans le trio du Barbier de Séville. Luke Scott (baryton d'Ecosse) a un timbre lyrique et même vaillant, des aigus serrés quoique l'ambitus soit amplement vibré, mais sa rondeur vocale rend sa projection extrêmement restreinte (les demi-finales s'étant déroulées en visio donc via des microphones, il aurait été à craindre que ce défaut de projection -par nature difficile à évaluer hors d'une salle- concernerait davantage de candidats, mais il est heureusement le seul). Il est toutefois plus à l'aise dans le rebondi Rossinien.
Tous ces morceaux sont accompagnés en fosse par l'Orchestre Prométhée réunissant de "jeunes musiciens professionnels" et dirigé par Pierre-Michel Durand. La phalange instrumentale symphonique est attentive au chef et aux candidats, tout en déployant certains amples moments de lyrisme pour Hamlet et Louise notamment. Les solistes offrent phrasés et justesse, notamment aux pupitres des bois, et la percussionniste n'hésite pas (et elle fait fort bien) à faire tinter les clochettes, les cymbales et le tambourin de Lakmé.
Les résultats sont proclamés après une très rapide délibération (incluant les débats des jurés et le temps de comptabiliser les votes du public envoyés en salle par SMS, le tout sous contrôle d'huissier) : le temps que les candidats se changent en tenues de soirées et que la marraine du Concours Julie Fuchs témoigne de son parcours depuis son Prix à la première édition (en 2010).

Jury de la Finale de Paris Opera Competition
Anne Solveig-Blanchard – Directrice artistique du Festival international d'Opéra baroque et romantique de Beaune
Julien Benhamou – Administrateur artistique du Festival d’Aix-en-Provence, conseiller artistique de L'Instant Lyrique
Damia Carbonell Nicolau – Directeur de l'administration artistique de l'Opéra national des Pays-Bas
John Fiore – Chef d’orchestre
Sophie Joyce – Directrice du casting de l'Opéra national de Paris
Michel Franck – Directeur Général du Théâtre des Champs-Élysées
Alain Lanceron – Président de Warner Classics & Erato
Erik Malmquist – Directeur du casting du Bayerische Staatsoper Munich
Richard Martet – Rédacteur-en-chef d’Opéra Magazine
Laurent Pelly – Metteur en scène
Matthias Schulz – Directeur Général du Berlin Staatsoper unter Den Linden
Ludmila Talikova – Directrice du Département d’Opéra du Bolchoï Theatre
Eric Vigié – Metteur en scène, Directeur de l’Opéra de Lausanne
Evamaria Wieser – Directrice de casting du Festival de Salzbourg et casting consultant pour l’Opéra de Chicago