Enthousiasmante Cantate des paysans par l’Ensemble Artifices à Bach en Combrailles
L’œuvre sacrée de Jean-Sébastien Bach est bien connue avec ses chefs-d’œuvre monumentaux, savants et spirituels. Pourtant, on sait aussi qu’il était un personnage haut en couleurs (grand travailleur mais pas toujours si sérieux que cela). Lorsque le chambellan et Electeur de Saxe, Carl Heinrich von Dieskau (aïeul du célèbre baryton Dietrich Fischer-Dieskau) fête en 1742 son 36ème anniversaire, ses amis commandent au poète Picander une cantate dans laquelle les paysans du domaine de Kleinzschocher, propriété du chambellan, lui rendent hommage. Pour la musique, l’auteur fait appel à Bach, avec lequel il a déjà collaboré de nombreuses fois. Cette « cantate burlesque » Nous avons un nouveau gouverneur, dite Cantate des paysans, est ainsi remplie de pastiches, de reprises d’airs populaires ou de ses précédentes œuvres, dont de savoureux airs à boire. Entre autres, cette petite pépite préfigure le singspiel, équivalent allemand de l’opéra-comique, ainsi que l’œuvre champêtre de Jean-Jacques Rousseau, Le Devin du village, par son opposition des gens de la ville et de ceux de la campagne.
Adepte de la création de concerts et spectacles adaptés pour tous les publics afin d’explorer le monde baroque, l’Ensemble Artifices a reçu, pour l’adaptation de cette cantate, le soutien du Festival Bach en Combrailles, lui-même soutenu par la Neue Bachgesellschaft (Nouvelle Société Bach) qui encourage la diffusion et la recherche sur Bach et son œuvre. Comme au XIXe siècle, quand la musique de Bach fut redécouverte et particulièrement diffusée à travers l’Europe, la cantate est proposée en traduction (française ici). C’est ainsi l’opportunité de retrouver, pour le public français réuni ce soir en l’église de Giat, toutes les saveurs d’une œuvre populaire.
La cantate ne fait appel qu’à deux protagonistes : un paysan, nommé ici Robin, et la femme du fermier, changée pour cette occasion française en une simple paysanne nommée Manon. Celle-ci est interprétée par la jeune soprano Lise Viricel, pleine de fraîcheur et d’innocence, par son timbre léger et très clair, qui semble même encore adolescent, surtout dans les médiums. Son interprétation vocale est appuyée par une présence scénique toute simple, tout à fait touchante, notamment avec son air "Notre bien-aimé, excellent chambellan" ou encore cet autre "Mon p’tit Robin". Ces airs, par leur beauté simple et leur indéniable charme, sont clairement un véritable plaisir à chanter, comme ils sont plaisants à écouter, particulièrement quand ils sont en français et si agréablement prononcés.
Le paysan Robin est incarné par le baryton Romain Bockler, habitué aux rôles de charmeur. Il en use auprès du public, séduisant par ses interventions sûres sans pour autant perdre en tendresse, ainsi que par son timbre coloré et remarquablement projeté. Son air "Il faut donner dix mille pièces chaque jour au gouverneur" en devient même trop élégant pour un tel personnage (qui doit incarner le brave homme de la campagne), mais le contraste est savoureux dans l’air suivant "Ton bonheur est grand et ton rire plein de joie", les spectateurs ne pouvant se retenir d'applaudir. Enfin, la qualité de ses récitatifs repose sur une grande force de conviction, tant scénique que vocale.

Pour étoffer l’œuvre assez courte, et aussi optimiser la participation du cor et du traverso qui ne sont sollicités par Bach que pour un seul air, les musiciens de l’Ensemble Artifices proposent la (re)découverte au public du compositeur Sebastian Bodinus, contemporain de Bach, avec sa Sonata a 4 en introduction et en interlude. L’auditeur est de suite plongé dans un joyeux univers champêtre, volontiers entraîné par les charmantes mélodies et l'énergie collective de l’ensemble, dont les sourires visibles font mouche. Si dans les premiers temps le cor naturel semble faire défaut de justesse, quelques rapides ajustements démontrent le talent de l’instrumentiste. Tous ses collègues montrent également maîtrise instrumentale et agilité. Si la sonate de Bodinus ou les extraits d’œuvres de Telemann en réjouissances finales sont des moments de danses entrainants, l’ensemble sait se faire oublier, sans pour autant disparaître, lors des interventions vocales, afin de soutenir avec justesse les chanteurs.
Avant de reprendre en bis le joyeux choral final « Allons où sonne la cornemuse vers notre vieille taverne », Alice Julien-Laferrière remercie le Festival pour son soutien et particulièrement toute l’équipe de la régie pour son travail de l’ombre pourtant essentiel. C’est d’ailleurs lors d’une édition du Festival qu’elle a rencontré son compagnon, qui n’est autre que le régisseur en chef. En ce beau concert, c’est donc l’ultime preuve que le Festival Bach en Combrailles, outre la qualité de ses artistes invités et de sa programmation musicale sérieuse et riche, est d’abord une belle aventure humaine.