Quatre Stabat Mater, ou 400 ans d’Histoire au Festival de Saintes
Les dix voix de l’ensemble Gli Angeli Genève ouvrent le concert avec la prodigieuse écriture polyphonique de Domenico Scarlatti. Une œuvre vraisemblablement écrite entre 1714 et 1719 alors qu’il était maître de la Chapelle Giulia à Saint-Pierre de Rome. La production vocale est homogène, les chanteuses et chanteurs, d’une même respiration, portent une prosodie claire, articulée, une architecture musicale à la hauteur du lieu sacré. Chaque voix est indépendante, soliste à tour de rôle, dans un véritable discours opératique. Le ténor Thomas Hobbs développe une voix claire et sonore, qui rayonne dans les vocalises, non sans rappeler les prouesses des airs de Donizetti.
Le Stabat Mater d’Arvo Pärt créé en 1985 est écrit pour trois voix (soprano, alto, ténor) et trio à cordes dans un effet « tintinnabuli » en accord parfait majeur rappelant les clochettes de l’orgue médiéval. Une écriture habituelle chez le compositeur, simple, minimaliste telle qu’il la définit : « Je travaille avec très peu d’éléments : une ou deux voix seulement. Je construis à partir d’un matériau primitif, avec l’accord parfait, avec une tonalité spécifique. Les trois notes de l’accord parfait sont comme des cloches. C’est la raison pour laquelle je l’ai appelé tintinnabulation. » La soprano Aleksandra Lewandowska relève le défi des notes aigües d’une lyrique-léger, les attaques sont percussives et sûres, un timbre lumineux qui s’accorde parfaitement avec les deux voix des hommes. Carlos Mena, contre-ténor, interprète d’exception du répertoire baroque, dévoile une production sonore juste, experte, subtile, homogène du falsetto à la voix de poitrine, en harmonieuse résonance avec l’acoustique de la cathédrale. Pureté et souplesse des sons étirés en parfait tuilage avec le vibrato de fin de phrase. Thomas Hobbs, dans une incarnation plus dramatique, tisse la phrase musicale entre les trois chanteurs, par sa maîtrise de la voix mixte, modulée, pénétrante. Une émotion portée par les trois instrumentistes de l’ensemble Terpsycordes, qui ne laisse pas le public indifférent.
Stephan MacLeod, qui parallèlement à sa carrière de chanteur baryton-basse se consacre à la direction d’orchestre, porte ici chaque œuvre par un geste presque discret, tant la complicité avec les musiciens est perceptible, œuvrant tous vers un même objectif : faire vivre au public la force d’un poème latin à travers le prisme de quatre sensibilités de compositeurs.
Le Stabat Mater de Giovanni Pierluigi Palestrina, écrit autour de 1590, étonne tant dans sa durée (11 minutes) que dans sa forme écrite pour huit voix divisées en deux chœurs. Dans un style homophonique, les chœurs chantent en alternance une ligne mélodique dans un procédé musical qui souligne la force du texte.
Le concert s’achève avec le Stabat Mater que Giovanni Battista Pergolesi compose en 1736 à 26 ans, dans un monastère près de Naples.
Dix-sept instrumentistes, l’ensemble des cordes et un continuo introduisent avec élan et expression l’œuvre en parfait tuilage avec le Mater dolorosa, et le premier duo entre la soprano et l’alto, dans cette version chantée par le contre-ténor Carlos Mena. Ana Quintans, révélation de cette soirée, dispose d'une voix naturelle et portée, ainsi que d'une puissance juste dans des aigües presque cristallins. Le public retrouve avec joie dans cette dernière pièce Carlos Mena, touchant, en parfaite harmonie avec la soprano.
Stephan MacLeod offre au public une version de ce Stabat Mater toute en contrastes. Du O quam tristis où la tristesse et l’affliction sont palpables, au Sancta mater enjoué, jusqu’à l’inflammatus et accensus presque éruptif, véritable tourbillon d’émotions, la pièce clôt l’un des concerts les plus ovationnés depuis le début du Festival.
Retrouvez notre interview du Directeur Stephan Maciejewski à l'occasion du 50ème Festival de Saintes