Le Premier Cercle, scènes de la Charachka à l'Opéra de Massy
C’est avec enthousiasme que le public massiçois est accueilli par Philippe Bellot, Directeur de l’Opéra de Massy en personne pour cette toute première soirée de reprise de la saison lyrique post-confinements. Il est accompagné de Pierre Morel, Président du Comité du Centenaire Soljénitsyne, qui met en lumière le travail de l’auteur russe, ainsi que du metteur en scène Lukas Hemleb qui se charge de partager le contexte de l’œuvre qui attend le public derrière le rideau.

Moscou, 1949. Deux histoires se chevauchent : la première est celle d’Innokenti Volodine, diplomate russe qui décide d’informer les américains d’un plan de construction de bombe nucléaire pour éviter un désastre planétaire. Son histoire est contée au travers de morceaux de films en noir et blanc projetés sur écran semi-opaque qui viennent ponctuer l’histoire principale. Dans une Charachka (laboratoire secret destiné aux prisonniers scientifiques), Roubine et Nerjine sont missionnés pour mettre au point un système d’identification des voix. L’un est linguiste, l’autre mathématicien. Coupés de tout, ils prennent conscience de la fragilité de leur situation, risquant d’être envoyés vers les Goulags sibériens sans savoir s’ils reverront leurs proches. Lors d’une visite auprès de Nerjine, Nadia propose à son époux de divorcer pour qu’il puisse retrouver une forme de liberté. Celui-ci refuse, bien qu’il entretienne une relation avec une surveillante nommée Simotchka. Chaque personnage est amené à se dire au revoir, redoutant le départ sans savoir s’ils se reverront.

Le Premier Cercle, scènes de la Charachka composé et écrit par Gilbert Amy a été créé en 1999 à l’Opéra de Lyon, il est repris pour la première fois depuis, et à nouveau dans la mise en scène de Lukas Hemleb (raccourcissant un peu l'opéra et son effectif, sur scène et en fosse). Sous la baguette de Julien Leroy, l’Ensemble Court-Circuit (composé de six musiciens) propose un tapis musical dissonant et percutant, non sans rappeler le caractère inexorable et angoissant du livret.

Sur les planches, le décor d’une bibliothèque sens-dessus-dessous (réalisé par Lili Kendaka) est la prison de Bastien Rimondi et de Franck Lopez dans les rôles de Nerjine et Roubine. Le premier porte son rôle principal de sa voix de ténor très en avant, tout en projection. Dans la partition, le chant laisse parfois place au parlé comme au crié et c’est bien Rimondi à qui l’exercice sied le mieux. Dans la nuance, il colore son instrument et efface la frontière entre les genres, tirant parfois sa puissance de l’arrière gorge. Lopez n’est pas en reste, notamment dans les passages les plus doux où son expression révèle l’introspection du personnage. Là où la partition lui fait perdre en puissance face à l’ensemble instrumental ou à son collègue ténor, le baryton montre un timbre rond et délicat dans les piani et les tempi plus lents.

Marianne Croux prête à Nadia son soprano clair au vibrato resserré. Si la partition de Gilbert Amy est très rythmée, c’est dans les émotions fortes que le tempo ralentit. Alors, quand Nadia apprend qu’elle va revoir son mari, c’est à travers des vocalises très ornementées qu’elle exprime sa joie et son appréhension. La soprano fait preuve de grande virtuosité pour interpréter une mélodie très exigeante, chantant tantôt dans le masque sans manquer de justesse, tantôt en projetant jusqu'au fond de la salle avec aisance.

La mezzo-soprano Brenda Poupard interprète, quant à elle, la surveillante Simotchka qui succombe à Nerjine. Tout comme sa collègue, c’est dans les passages de grande émotion qu’elle brille. Son chant de tristesse qui suspend pour quelques minutes le rythme effréné des déclarations lui permet de faire démonstration de ses talents de comédienne et d’interprète. Jouant de résonnance avec des sons vibrés bouche presque fermée, elle met aussi la largeur de son timbre au défi lorsqu’elle chante allongée sur le dos ou sur le côté, puisant dans le fond de la gorge, ce qui sert également son jeu d’actrice. Bien qu’elle en perde très légèrement en clarté de diction, cela ne l’empêche pas d’éblouir le public notamment lorsque sa mélodie se mêle et répond à celle des musiciens.
La cinquième personne sur scène est l’acteur Laurent Manzoni, qui déclame le texte d’un surveillant et d’une figure apparaissant à Roubine en rêve avec passion et clarté, malgré la présence prépondérante de l’ensemble instrumental. Il intervient notamment par-dessus les passages filmés, faisant ressentir au spectateur l’humiliation du personnage à l’écran.

Les artistes sont applaudis par un public enthousiaste et ravi de renouer avec le spectacle vivant, retrouvant sur scène pour les saluts tous les talents derrière la création de l’œuvre, jusqu’à son compositeur Gilbert Amy.