Théâtrales harmonies de Bach et Scarlatti aux Concerts d’Automne à Tours
Ce soir, en l’église Saint-Julien, le chef de chœur Joël Suhubiette veut partager son vif intérêt pour la musique vocale du Baroque. Avec les dix chanteurs de son ensemble tourangeaux, l’Ensemble Jacques Moderne, il propose quatre chefs-d’œuvre de polyphonie écrits par Jean-Sébastien Bach (1685-1750) et Domenico Scarlatti (1685-1757).
Le concert débute avec le motet Jesu, meine Freude BWV 227. Afin de respecter les recommandations sanitaires en vigueur, les chanteurs sont tous espacés les uns des autres d’au moins 1m50, en arc de cercle sur les bords de la scène, entourant les trois instrumentistes qui assurent la basse continue. Il faut déjà rappeler les difficultés qu’imposent une telle disposition : chaque chanteur, éloigné de ses collègues, a l’impression d’être seul. C’est évidemment problématique pour le chant choral et l'acoustique de l’église n’aide certainement pas.
Ainsi, dans ce motet, l’homogénéité du chœur de chambre n’est pas complète, l’auditeur entendant davantage les sopranos, en front de scène, que les basses, en fond de scène. Il est possible de distinguer chaque voix de chaque chanteur et il est donc difficile d’apprécier les harmonies écrites pas le génial Bach. Il doit être également des moins aisés, pour les artistes, d’entendre le soutien essentiel des instruments, notamment lors des parties contrapuntiques qui souffrent de légers décalages. La relative bonne tenue de la justesse est à saluer d'autant plus, demandant des efforts particulièrement importants (trahis par une fatigue vocale perceptible). Les quelques toux et raclements de gorge entre les œuvres font deviner aussi la trop grande sollicitation.
La direction de Joël Suhubiette, souple, ample et rebondissante, se veut des plus précises et des plus aidantes, tout en continuant à accompagner les phrasés et à suggérer des couleurs : de quoi particulièrement apprécier la touchante berceuse « Gute Nacht, o Wesen » (Bonne nuit, ô existence). Le motet suivant, Komm, Jesu, komm, à double chœur, offre davantage d’autonomie à chaque pupitre ce qui aide de manière notable à trouver ici un équilibre plus compréhensible et donc appréciable. Les parties de sopranos, particulièrement mises en avant par d’agiles et célestes vocalises, sont au mieux, au plus proche de l’auditoire. Si le concert ne permet pas d’entracte, les chanteurs méritent bien cinq minutes de pause avant de poursuivre avec les œuvres de l’italien Scarlatti.
Son Te Deum est aussi pour un double chœur, permettant ainsi de palier les difficultés de la disposition et de l’acoustique, voire d’en faire des atouts. L'auditoire apprécie alors grandement les efforts de chacun pour être ensemble, par leur discrets regards entre eux et leur attention aux gestes de leur chef. Lui non plus ne manque pas d’investissement ni d’attention, tenant avec vigueur le tempo afin que personne ne ralentisse jamais, malgré les potentielles envies -naturelles- de s’attendre pour mieux s’entendre. Le Stabat Mater du compositeur napolitain est idéalement écrit pour dix voix solistes, ce qui offre de très jolis passages contrapuntiques lors desquels l’auditeur peut se perdre avec délectation dans les riches harmonies créées par le chœur. Parfois émerge une voix, puis une autre, produisant un réel plaisir de l’oreille à être sans cesse surprise par de nouvelles caresses.
Le public, non seulement conquis par les richesses des œuvres et de leur interprétation par l’Ensemble Jacques Moderne, se montre par ses chaleureux applaudissements également conscient et reconnaissant du réel défi, sans doute épuisant, que demande l’adaptation aux vigilances sanitaires. Si le travail est assurément logistique -le Festival des Concerts d’automne peut en être grandement félicité-, elle est aussi musicale. C’est par les agiles et éloquents « amen » qui terminent le Stabat Mater que Joël Suhubiette et son ensemble saluent une dernière fois, en bis, les spectateurs satisfaits et heureux.