Benjamin Bernheim ouvre le Festival de Paris 2020, tout en charme et en langue française
C’est au creux du sein de la Dame de Fer que le Festival de Paris a fini par ouvrir ses portes, retrouvant un public enthousiaste et impatient d’entendre la célébrité mondiale qu’est devenu le ténor Benjamin Bernheim. Celui-ci a choisi un programme presque uniquement français : Berlioz, Duparc, Hahn, Gounod, Poulenc et Delibes s’enchaînent avec beaucoup de poésie, pour finir en beauté avec deux airs d’opéras italiens : “Ah, la paterna mano”, extrait du Macbeth de Verdi et le fameux “Una furtiva lagrima” (L'Élixir d'amour de Donizetti).
Il faut reconnaître qu’en ce frimas automnal, la voix, la diction irréprochable, le charme indéniable, l’aisance du ténor français dans ce répertoire connu mais toujours aussi agréable à l’oreille, tout fait l’effet d’un réconfortant moment, comme au coin du feu. Bernheim est un chanteur intelligent, qui sait à merveille moduler sans effort tous les effets vocaux et techniques à sa disposition, pour servir le texte et l’interprétation. Jamais dans la nasalité mais toujours admirablement timbré, même lorsqu’il se rapproche de la voix parlée, chaque consonne sifflante (s, ch, g, z) est dans sa bouche un harpon pour l’oreille, accrochant l’attention de l’auditeur. Malgré la partition qui l’accompagne toute la soirée, le charisme magnétique du chanteur fait tout de même effet, et suspend l'auditoire à chacune de ses notes, allant jusqu'à respirer avec lui. Il fait d’ailleurs preuve d’une longueur de souffle impressionnante, notamment dans L’invitation au voyage (Duparc - Baudelaire), dans laquelle il a tout de même une légère tendance à presser et être en avance sur la pianiste. Jouant remarquablement avec les contrastes, il est capable des plus délicats pianissimi, et d’aigus d’une finesse extrême. Rien ne semble jamais lui demander aucun effort, et il prend un plaisir évident à inviter le public dans son univers poétique, jusque vers L’île inconnue, ultime mélodie des Nuits d'été de Berlioz. Le ténor profite également du répertoire belcantiste en fin de récital pour « lâcher les chevaux » et montrer l’étendue des possibilités de sa voix. Ce changement d’ambiance, qui peut sembler étrange dans un récital de musique française n’enlève rien à son aisance scénique et vocale.
Malgré cette apparente aisance, des petites erreurs de rythme et de notes, qui paraissent surprenantes dans un répertoire aussi convenu, expliquent la présence de la partition tout au long du récital. Heureusement, la pianiste Carrie-Ann Matheson est d’une stabilité à toute épreuve, joue avec ardeur, souplesse, intelligence, et parvient à tenir le public en haleine avec beaucoup de charme et de sensibilité. Toujours très à l’écoute des deux chanteurs, elle les soutient sans les effacer, et sait mettre en valeur la sensibilité de chacun. En effet, dans le cadre du programme Momentum, créé, fondé et organisé par Barbara Hannigan afin de soutenir les jeunes artistes lyriques dans leur carrière, les deux musiciens ont choisi d’inviter la soprano québécoise Florie Valiquette à interpréter trois mélodies au cours du récital. La chanteuse fait preuve d’une très grande sensibilité musicale et d’un enthousiasme communicatif dans son interprétation très incarnée des textes. Le timbre est rond et chaleureux mais souffre de tensions au niveau de la langue et de la mâchoire (la voix se trouve alors engoncée et perd en liberté et en beauté). La diction en pâtit également dans les passages plus rapides, comme dans Les Filles de Cadix, mais sa présence scénique et son interprétation enlevée et sensuelle effacent ces faiblesses.
Le salon Gustave Eiffel participe évidemment au charme et à la poésie du récital mais les spots de la salle sont très bruyants et représentent une gêne pour le public, très enthousiaste par ailleurs et qui en redemande avec délice. Les deux chanteurs se rejoignent pour un très joli duo de Roméo et Juliette de Gounod dans lequel le ténor se fait encore plus charmeur et séducteur, puis il clôt le récital seul avec un Rêve de Des Grieux de Massenet éthéré et émouvant aux larmes. Le public quitte la Dame de fer à regret, charmé par un récital simple mais efficace.