Coups de Canon, Coups de chapeau : l'Opéra de Nice reprend en musique sur la place publique
Pour ouvrir ce cycle de représentations estivales en plein air, un sextuor à cordes propose des saisons entremêlées : le Printemps de Piazzolla succède à celui de Vivaldi, et le même jeu d'échos résonne pour l'Été. Le premier violon, tenu par Vera Novakova s'illustre avec brio. Le jour suivant compte comme surprise musicale un quatuor de clarinettistes qui interprète notamment Misty (morceau de jazz qui a donné son nom a un fameux long métrage de Clint Eastwood) joué avec beaucoup de sensualité. S'ensuit un quatuor de cornistes le jour d'après qui s'attache à jouer du charleston pour faire danser le public.
Chaque jour, un spectacle différent est proposé, chaque famille de musicien entre en scène pour faire découvrir au public les particularités sonores et le ton de son instrument. Avant même le début de sa première saison, le nouveau Directeur de l'Opéra Bertrand Rossi est à l'origine de cet événement visant à faire revivre la musique après la pandémie.
Les prestations vocales ne tardent pas à se faire
entendre sur le devant de la scène, et qui plus est, par l'interprétation
d'un opéra de chambre contemporain. En effet, le 3 juillet sont joués des
extraits d'O Tempora ou l'Aube sur la Promenade des Anglais opéra
intimiste en un acte composé par le premier violon de l'Opéra de Nice, Robert
Waechter (et qui avait été donné au Musée Chagall de la ville en 2018). Le compositeur fait alors partie du sextuor, dirigé par Frédéric Deloche.
Cet opéra de chambre ne compte qu'une seule voix dont la séduction participe de
l'unité de l'oeuvre. La soprano-soliste, Liesel Jürgens, interprète les quatre
arias principales de l'œuvre (Photo my heart, After, Is she so weary? et O tempora, a farewell), dont le texte poétique a été écrit en anglais par le français Mark Hillman,
connu comme compositeur pour sa collaboration à de nombreuses musiques de films.
Si l'opéra a déjà été enregistré par Readymade production music, le rôle clef de l'oeuvre, celui du personnage féminin Dawn (l'aube) a d'abord été interprété par Stella Vander, du groupe Magma, qui n'a pas une voix opératique. L'effet « hybride » de l'opéra, traversé par une voix gracieuse et fragile était voulu. Les codes de l'opéra sont réinventés, bousculés. L'œuvre est reprise par une voix lyrique, Liesel Jürgens, cantatrice de l'Opéra de Nice. Le rôle de la soprano est capital dans cet opéra de chambre dont le cadre dramaturgique s'inscrit dans la ville de Nice, le salon d'un hôtel sur la Promenade des Anglais.
Au soir de leur vie, un homme et une femme se retrouvent, ils ont été amants dans leur jeunesse et c'est le chant de l'interprète féminine qui aura la force de raviver les souvenirs de leurs amours passées. Le pouvoir de la voix tend à montrer, dans cet opéra original, que la beauté, bien qu'éphémère, ne s'oublie pas, sa fascination transcende le temps, « O tempora », d'où le titre de l'oeuvre. Grâce au chant qu'il écoute et qui le subjugue, l'homme se remémore petit à petit l'amour intense et fugace qu'il a vécu. Les arie de la soprano, conçus en quelque sorte comme des acrostiches, illustrent des mots évocateurs que l'acteur cherche à replacer sur les mots croisés de sa vie. La passion ne se départit pas de la souffrance, mais la promesse d'une aube nouvelle s'esquisse à la fin de l'oeuvre. Cette ode à l'amour qui défie les temps par les accents envoûtants de la voix d'une muse, est presque inédite, puisque la première mondiale a été jouée, partiellement, l'an dernier sous les couleurs vives des peintures du Musée Chagall- les mêmes qui ornent le plafond de l'Opéra Garnier.
Sur le parvis de l'Opéra de Nice, après le coup de canon traditionnel tiré à midi, quatre violons, un alto et une contrebasse prennent place. Le public découvre cette musique et y est déjà familiarisé : les codes propres à la musique de films sont utilisés dans cet opéra, et cela permet, non seulement de renouveler le genre, mais encore, de le rendre plus accessible à tous les auditeurs. Le chant se veut plus expressif que lyrique, l'attention est mise sur la compréhension des paroles, sur la douce confusion qui mêle poésie et musique. La voix de la soprano se pose à l'octave et tout en nuances, sur un lit de violons aux accents plus graves. Dans tous le cantabile, le legato est très présent, et les notes tenues sont comme étirées par des crescendi et decrescendi subtils entre des nuances souvent piano. L'impression d'étirement des notes tenues, visant à susciter le souvenir, est renchéri par des glissandi étudiés qui participent de l'évocation des moments passés sans être outranciers.
Le mode mineur domine dans les chants interprétés, il correspond à la tonalité maussade de la première partie de l'oeuvre dramaturgique et tend à faire sentir l'amertume du temps. Cette partie de l'œuvre, à mi-chemin entre affliction et affection précède la renaissance, « rebirth », qui apparaît comme une éclaircie au terme des souffrances passées. La première aria plutôt mélancolique cède à une seconde où une évolution apparaît et se perçoit grâce au contraste du jeu allegro des cordes dans les aigus, donnant un effet assez folklorique au passage, et du chant plus lent et attentif aux notes tenues. Cette dichotomie entre les instruments a un sens dramaturgique : la musique plus rapide rend compte des tourments intérieurs qui enserrent Dawn, la femme, mais la mélodie qu'elle entonne pour sa part reste pudique, ce sont les cordes qui révèlent ses blessures profondes . O tempora est répété de manière lancinante par la soprano, dont la voix rebondit sur la première syllabe « tem- » et suscite le regret des temps perdus : « my heart is low/ And patience has no peace for love to go ». Ce chant requiert une amplitude vocale plus grande que ceux précédemment entonnés. La soprano réalise les sauts de notes sans détimbrer sa voix et en gardant une couleur assez claire. Le tout s'achève dans une atmosphère très mélancolique qui met en avant l'aspect poétique du texte : « She dreams eternal/ He dreams of returning home, we are all blind in love ». Les notes tenues sont l'occasion pour la soprano d'exprimer davantage sa voix lyrique, avec plus de coffre. Néanmoins, l'ensemble de l'oeuvre semble mettre l'accent sur l'expressivité plutôt que sur le lyrisme, et cela corrobore le côté intimiste de l'opéra de chambre.
Dès ce week-end, l'Opéra de Nice invite également à nouveau à l'intérieur de son théâtre, et pour une autre initiative originale : petit-déjeuner sur scène et en musique (avec les artistes dans la salle) ! Nous y serons pour vous raconter cela.