Scintillante Femme sans ombre de Strauss au TCE
Le public parisien n’avait plus eu d’occasion d’entendre La Femme sans ombre, œuvre majeure de Richard Strauss, depuis la production de Bob Wilson reprise à Bastille en 2008. C’est ainsi devant une salle comble que se présente le prestigieux plateau proposé pour cette version concertante par le Théâtre des Champs-Elysées menée par Yannick Nézet-Séguin (nouveau Directeur musical du Metropolitan Opera de New York). À la tête du Rotterdams Philharmonisch Orkest, ce dernier déploie une battue esthétique et vigoureuse, modérant la phalange à chaque intervention des chanteurs, pour mieux la fouetter d’un coup de baguette dans les parties instrumentales, obtenant comme par magie des élans d’une formidable puissance expressive. Les cuivres se montrent brillants, les bois légers et aériens (comme le vol du Faucon qu’ils caractérisent), les harpes mystérieuses, les cordes douces ou inquiétantes, les percussions (avec double jeu de timbales) explosives.
Le Rotterdam Symphony Chorus met en avant ses pupitres féminins, sirènes enchanteresses aux voix virevoltantes, autant que ses hommes, chorale répandant la bonne parole des veilleurs. De son côté, la Maîtrise de Radio France manque d’abord de volume dans les pépiements des voix, qui se font toutefois angéliques dans le finale.
Michael Volle impressionne dans le rôle de Barak par sa voix souveraine aux riches résonances, brillant aussi bien dans les tendres piani que dans les furieux et violents emportements. Ses graves frétillent et ses aigus frémissent dans un souffle luxuriant. Il apporte du théâtre d’un regard, d’un geste, d’un haussement de sourcil ou d’un rictus. Lise Lindstrom colore la Teinturière d’une frustration aigre, le visage dur comme le cœur du personnage, le timbre presque blanc et le phrasé martelé. Sa voix de pierre offre un vibrato rapide et fin, et s’épanouit dans le finale lorsque le personnage se repent.
La Nourrice de Michaela Schuster déploie un large ambitus, projeté aussi bien dans les graves caverneux que dans les aigus incisifs. Son phrasé percutant s’habille d’un legato mielleux participant, par des effets de chuintement, sifflement ou de claquement, à la caractérisation d’un personnage mauvais et haineux. Le timbre sait se faire tendre pour séduire ou rauque pour menacer. Elza van den Heever chante pour l’occasion sa première Impératrice, d’un timbre pur et légèrement velouté, très projeté, strié d’un vibrato vif et bondissant. Stephen Gould maîtrise suffisamment son rôle d’Empereur pour le chanter sans partition (à part quelques pages finales). Sa voix puissante offre un aigu d’abord rayonnant, mais qui fatigue sur la fin de l’ouvrage. La voix force et se fronce alors, perdant de sa justesse.
Bror Magnus Tødenes attire l’attention en Apparition du jeune homme, par son timbre charmant à la clarté germanique. Katrien Baerts se fait porte-voix du Faucon, Gardienne du temple et Voix d’en haut d’un ton martial, d’une ligne épaisse et sombre. Thomas Oliemans se dresse en Messager de Keikobad par son chant autoritaire au timbre corsé, mais au volume limité. Andreas Conrad est un Bossu au ténor clair et claironnant. Michael Wilmering est en retrait en Borgne au timbre doux. Enfin, Nathan Berg est un Manchot aux basses acerbes et profondes.
Après quelques longues secondes (répondant à la demande d’un spectateur ayant regretté avec fracas à l’entracte les vivats trop précoces), le Théâtre des Champs-Élysées explose sous un tonnerre d’applaudissements décorant l’ensemble des protagonistes.