La jeunesse de l’Opéra de Rennes ravive l’Orestie
L’Orestie, est une trilogie d’Eschyle écrite au Vème siècle avant Jésus Christ, narrant le destin des Atrides. Comme le texte original, l’œuvre lyrique, chantée en grec ancien, est ainsi décomposée en trois partie, l’une s’intéressant au retour d’Agamemnon de la guerre de Troie, jusqu’à son assassinat, la seconde portant sur la vengeance d’Oreste (son fils), et la troisième sur l’acquittement de ce dernier par la déesse Athéna. Afin de plonger le spectateur dans l’expérience imaginée par Xenakis, la traduction des textes n’est pas proposée au public. Peu importent les mots, pour le compositeur qui a par ailleurs utilisé des phonèmes abscons en lieu et place de textes dans certaines compositions : la musique, dont le but n’est pas ici de séduire, doit assumer la charge de la narration dramatique.
Oresteïa de Xenakis à l'Opéra de Rennes © Laurent Guizard
La production, mettant en scène de jeunes artistes, avec la vitalité et les imperfections qui s’y doivent être associées, se veut également faite pour les jeunes. C’est ainsi que l’une des deux uniques représentations prévues à l’Opéra de Rennes est dédiée aux groupes scolaires. Les percussions, prépondérantes dans la conception musicale du compositeur, sont particulièrement mises en avant : en avant-spectacle, deux jeunes percussionnistes jouent ainsi une pièce de Xenakis (Rebonds A et B) dans l’entrée de l’Opéra. Dans la salle, trois installations de percussion (deux sur scène et une dans la fosse) mettent en avant quatre musiciens rythmant la représentation de cette version concertante (les chanteurs disposant de leur partition) mise en espace et en lumière.
Après une courte introduction orchestrale, un chœur d’homme, pieds nus et écharpe rouge autour du cou, représentant de vieux athéniens, chante a capella le récit de la guerre de Troie, remportée par les grecs, commandés par Agamemnon. C’est l’orchestre qui prend alors le relais pour évoquer le sacrifice par ce dernier de sa fille Iphigénie (qui sera finalement épargnée) afin de satisfaire les dieux qui freinaient alors sa flotte de bateaux. Le chœur dénonce l’attitude d’Hélène (dont les amours avec Pâris sont à l’origine de la guerre) dans un parlando (chant reproduisant le langage parlé) rythmé signifiant le reproche. Le hautbois tient alors dans les aigus des notes qui évoquent l’attente, avant qu’un grand crescendo n’annonce le retour d’Agamemnon dans son royaume d’Argos, accompagné de sa prisonnière, Cassandre, la fille du Roi troyen Priam (et la sœur de Pâris). Ce retour provoque la colère de sa femme Clytemnestre, ne lui pardonnant pas l’offrande de leur fille. Cette rage est signifiée par les notes stridentes du piccolo qui agressent les tympans, tandis que les percussions jouent un rythme entêtant.
Oresteïa de Xenakis à l'Opéra de Rennes © Laurent Guizard
Le baryton Dionysios Sourbis fait alors son entrée pour interpréter Cassandre, qui prophétise l'imminence de sa mort, ainsi que de celle d’Agamemnon. Le baryton chante alors le rôle de la jeune femme d’une voix de tête, avec une grande intensité, tandis que l’oracle qui s’exprime à travers elle occupe le registre habituel de sa tessiture. Un dialogue s’instaure donc entre ces deux voix, formidablement accompagné par Rémi Durupt aux percussions, dont les rythmes rappellent les musiques archaïques sur lesquelles les danseurs atteignaient des états de transe. Des coups de grosse caisse ponctuent la scène, comme autant de coups de poignards reçus par la jeune troyenne. Durant ce duo, le chef Sylvain Blassel, parfait en grand ordonnateur du chaos musical sur le reste de l’interprétation, s’efface dans la pénombre. Le meurtre d’Agamemnon et de Cassandre par Clytemnestre et son amant Égisthe est martelé, sous forme de récit, par le chœur qui entonne ensuite une oraison funèbre, des glissandi à l’orchestre figurant la tristesse du peuple. De plaintes, ces derniers évoluent pour évoquer le désir de vengeance qui s’installe.
Un chœur de femmes aux écharpes blanches prend alors la place du chœur d’hommes, ces derniers s’installant au milieu du public, percussions (woodblocks, maracas et fouets, notamment) en main pour l’invocation de Zeus. Oreste passe alors à l’action et assassine Egisthe sous les crépitements des percussions semblant figurer la pluie, puis confronte et assassine sa mère afin de venger son père, des sifflets stridulants évoquant des cris dans le vent.
Oresteïa de Xenakis à l'Opéra de Rennes © Laurent Guizard
Tandis que les Erinyes (divinités persécutrices) poursuivent Oreste par des cris stridents, sifflets, fouets et autres percussions (des sistres et clochettes, notamment). Dionysios Sourbis fait son retour, cette fois dans le rôle de la déesse Athéna, jonglant de nouveau entre une voix de tête et les graves de la tessiture de baryton. Le débat fait rage entre les défenseurs et les accusateurs d’Oreste. Athéna met donc en place un tribunal composé de citoyens d’Athènes. Des balcons, les choristes s’écharpent à coups de sentences martelées en parlando. La déesse prend finalement parti pour Oreste qu’elle acquitte, et crée les Euménides (divinités bienfaisantes), chantées par les enfants de la Maîtrise de Bretagne. La pièce se termine dans un tutti fortissimo de désordre proche du brouhaha, ordonné avec grande précision par le chef Sylvain Blassel, chantant avec son chœur. Le public est conquis.
(cover : Oresteïa de Xenakis à l'Opéra de Rennes © Laurent Guizard)