Cadence rondement menée par François Lazarevitch, Fiona McGown et Les Musiciens de Saint-Julien
Les Musiciens de Saint-Julien poursuivent leur immersion dans les répertoires savants et populaires d’Irlande et des îles Britanniques avec le programme The Queen’s delight, airs de danse et chansons de l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle et du début XVIIIe. Grâce à un travail musicologique, des talents d’arrangeur et une pratique musicale orientée vers une tradition orale (musicien de bal), François Lazarevitch fait revivre les mélodies pour l’essentiel issues du English Dancing Master (entre 1651 et 1728) de John Playford ainsi que deux pièces signées Henry Purcell (How vile are the sordid intrigues et The lad of the Town), illustrant la grande variété de styles d’écriture de ce compositeur et l’influence de la musique populaire dans son œuvre.
Les instrumentistes aguerris de l’ensemble mènent joyeusement la cadence, la mezzo-soprano Fiona McGown et le baryton Enea Sorini les rejoignent lorsque la musique à danser se mue en air à chanter.
Les goûts éclectiques de la jeune chanteuse la font voyager entre différents styles musicaux avec un réel bonheur (opéra, musique de chambre, créations). Elle associe sa riche couleur vocale à l’ensemble et interprète les textes des chansons avec sincérité. Proche de la voix « folk », elle alterne les registres de poitrine et de tête sans abandonner la vibration vocale. Son émission est empreinte d’un grand naturel, sans effets opératiques, seyant à la naïveté de certaines pièces. C’est tout sourire qu’elle entonne Kathern Loggy, narrant le désarroi d’un jeune homme s’apercevant que l’élue de son cœur est en définitive une prostituée et, avec intériorité, délivre les belles mélodies de Sefautian’s farewel (complainte d’une jeune fille sur la mort de son amant) et The witty Western Lasse (complainte d’une fille-mère délaissée par son amant). Dans Mr Lane’s Maggot, elle réveille tous les "racleurs de boyaux endormis" et tous s’unissent à sa voix pour l’hymne à Bacchus (Bacchus’s Health).
Elle est rejointe par Enea Sorini to Drive the cold winter away (pour chasser le froid de l’hiver) et, à deux voix, ils évoquent les veillées auprès du feu. Seul, il interprète l’air italien d’après Henry Lawes (Fuggi, fuggi!) de sa douce voix de baryton, jamais forcée, passant en voix mixte dès le haut médium de sa tessiture. Ce chanteur a plus d’une corde vocale à son arc, étant également percussionniste et joueur de tympanon (cithare sur table). Sa présence participe à la grande variété de timbres de l’ensemble.
Apparaissant dans les tutti ou en soli, les instrumentistes demeurent totalement investis et, dégagés de leurs partitions, interviennent dans une grande liberté de jeu qu’une soudaine coupure d’électricité ne vient aucunement perturber. Les cordes se pincent avec la harpe de Marie Bournisien, le luth et le cistre d’Eric Bellocq que rejoignent les pizzicati (pincés) du violon dans la charmante danse Emperor of the Moon et que les notes détachées de la petite flûte imitent dans Ormond House. Les mélodies sont richement ornées de trilles et de mordants et c’est en frappant du pied que François Lazarevitch indique la cadence. Le violoniste David Greenberg interprète la musique de façon chorégraphique, ce qui confère à son jeu une grande liberté, parfois peu canalisée, demeurant cependant toujours au service de l’expression du mouvement dansé. Il dialogue avec la gambiste Lucile Boulanger dans les variations sur le thème John come kiss me now, chacun s’exprimant avec une grande virtuosité.
Les musiciens transmettent progressivement le rythme de la danse au public qui, à la fin du concert, contient difficilement quelques battements de pied et hochements de tête. Le chef fait alors part à l’assistance de son émotion à jouer dans cette salle Cortot qui accueillit en 2005 le premier projet de l’ensemble À l’Ombre d’un ormeau et le gratifie de trois bis : une petite suite irlandaise fantaisiste d’où surgit la Badinerie de Bach, la reprise de la première chanson, ainsi que Johnnie Cope - Laugllan’s Lilt, musique écossaise extraite de l’album For Ever Fortune, achevant le concert dans une cadence soutenue et fort joyeuse.