Macbeth tout en noirceur et en expressivité à Gand
Après une série de représentations à Anvers durant la fin de la saison dernière, l'autre maison de l'institution flamande, Gand, l'accueille cet automne, comme un pont entre la fin du mandat d'Aviel Cahn et le début de celui de Jan Vandenhouwe, avec un plateau et une fosse investis, qui servent l'intense expressivité du spectacle.
Le Macbeth de Shakespeare – un des piliers du panthéon littéraire de Verdi – qui a inspiré l'opéra homonyme du compositeur italien est une plongée dans la noirceur de l'âme humaine, où la soif de pouvoir et de sang s'abreuvent à la même crédulité envers les oracles. Le noir ne pouvait être que l'alpha et l'oméga de la mise en scène réglée par Michael Thalheimer, qui aime les scénographies monochromes. Le rideau se lève sur un dispositif unique, dessiné par Henrik Ahr. Entouré de panneaux de bois aux allures de granite, un vaste bassin légèrement incliné vers la fosse, à l'apparence de la coque d'un cargo sert de chaudron du drame. Dans ce dédoublement imitatif de la scène qui renvoie à l'artifice même du rituel théâtral, Macbeth se retrouve isolé, et finalement piégé, tandis que sorcières, courtisans et peuples évoluent en hauteur, sur les rebords de cette cale aux fonctions multiples, symboliques et psychologiques, sans cesse redéfinie au gré du développement de l'intrigue.

La crédibilité se passe d'effets de réalisme que certaines séquences pourraient appeler. Le finale de l'Acte I, où l'ensemble de la cour découvre l'assassinat du Roi Duncan, ne laisse pas le temps au couple meurtrier d'effacer les stigmates sanglants du crime qui remontent jusqu'aux avant-bras : invisibles encore à l'entourage, ils sont déjà indélébiles pour Macbeth et son épouse, dont le visage barbouillé d'hémoglobine lui fait une barbe. Les cotillons du banquet royal à l'acte II tournent autour du cadavre fumant de Banquo, dans un jeu similaire entre les niveaux de perception, le réel et l'hallucination selon le point de vue des protagonistes, mais aussi la trame de l'histoire. Sans se contenter de la lettre du livret, et d'une débauche de globules rouges, seul contraste "vestimentaire" avec les costumes noirs de Michaela Barth, le metteur en scène allemand met en avant des tensions apparemment secondaires au regard de la destinée du souverain sordide, mais sans doute pas pour le royaume d'Écosse. Ainsi la dernière scène dévoile-t-elle la rivalité entre Macduff, qui a conduit la chute de Macbeth, et Malcolm, récoltant une couronne que le héros supposé fraternel a dû mal à lâcher. L'arrogance sans complexe du nouveau roi, et le sang qui sort de la bouche d'un jeune prince sur les ultimes accords ne laissent aucun doute sur le pessimisme d'une lecture poussant les vérités politiques et morales shakespeariennes dans leurs retranchements.

Si les lumières de Stefan Bolliger s'inscrivent dans la mode des pénombres, et se montrent au diapason de la conception générale, elles ne cèdent pas à l'inertie et offrent des modulations dynamiques d'une grande force expressive, entre l'oblique de l'intimité psychique et l'étroit tapis solennel pour le Roi qui sera aussi l'enfermement dans son délire. La très belle apocalypse à la déploration du régicide est vert bouteille.
Dans le rôle-titre, Craig Colclough impose un bronze nourri, qui privilégie la rudesse des sentiments et des tourments, en consonance avec l'angle théâtral du spectacle. Il ne sacrifie pas pour autant la ligne, portée par une indéniable endurance d'un bout à l'autre de la soirée. Le timbre peut avoir des accents parfois un peu ingrats, l'essentiel réside dans la maîtrise évidente des effets, distillant des mezza voce où se condensent les craintes spectrales qui étreignent l'ambitieux Macbeth. Aux côtés de ce portrait nuancé et investi, Katia Pellegrino, seule soliste du plateau à ne pas être en prise de rôle, incarne une Lady Macbethcomplexe, derrière une gestuelle entre rodomontades et esquisse chorégraphique. Elle prend son sens dans l'air du somnambulisme, où l'autorité vigoureuse, façonnée par la projection de la voix, bien accrochée aux sinus, et l'éclat des aigus, n'est plus qu'un souvenir fantomatique. Sans chercher une joliesse que Verdi ne cherchait pas au demeurant, au contraire, la soprano italienne tire habilement parti de ses moyens, moins extensifs dans le bas de la tessiture, pour une peinture psychologique complémentaire de celle du baryton-basse américain.

Le Banquo de Tareq Nazmi affirme un grain de voix charnu, aux graves solides, qui imprime une présence voilée d'inquiétudes. Najmiddin Mavlyanov se distingue par un Macduff vaillant, aux accents héroïques et à l'émission ample, palpitant de juvénile impulsivité et de sentiment. La richesse de sa pâte confère au personnage un surcroît de consistance qui se retrouve chez le Malcolm à la ligne plus resserrée de Michael J. Scott, faisant contraster avec pertinence les deux ténors – jusqu'à la confrontation, du point de vue de la dramaturgie ici adoptée. Chia-Fen Wu assume avec homogénéité les interventions de la Dame d'honneur de Lady Macbeth. Quant à Justin Hopkins, il s'acquitte honnêtement des répliques dévolues au Médecin, au Domestique, au Sicaire et au Héraut ainsi que l'une des trois apparitions, les deux autres revenant à deux membres des chœurs préparés efficacement par Jan Schweiger.
L'impact des effectifs prend souvent le pas sur la lisibilité de la diction. Dans la fosse, Paolo Carignani restitue la saisissante vitalité dramatique d'une partition qui, même révisée en 1865, porte l'empreinte de l'écriture de la jeunesse et de la première maturité. L'intelligence du canevas harmonique compense certaines scories çà et là décelées dans les pupitres du Symfonisch Orkest Opera Ballet Vlaanderen, sans altérer l'enthousiasme du public après une soirée placée sous le signe des ténèbres de l'âme humaine.
