Aïda après le déluge au Grand Théâtre de Genève
À Genève, Aïda a failli se noyer dans le Nil suite à des problèmes survenus avec le capricieux système d’incendie qui a déclenché à deux reprises un déluge d’eau intempestif sur la scène du Grand Théâtre. De fait, les répétitions ont été bousculées et la générale s’est déroulée seulement la veille de la première. Aviel Cahn, le nouveau Directeur des lieux, a tenu avant la représentation à en informer le public, tout en remerciant l’ensemble des équipes techniques et artistiques de la maison pour leur totale implication dans cette affaire. Le Grand Théâtre a certes retrouvé cette année au terme de longs travaux ses ors et sa splendeur d’antan, mais des interventions urgentes sur les parties techniques et sur la machinerie vieillissante restent encore à effectuer. Cet événement a certainement joué en défaveur de la première représentation, imparfaite au plan musical sans pour autant remettre en cause la mise en scène surchargée de Phelim McDermott, reprise ici par Joe Austin.
L’action se déroule dans une Égypte tout juste évoquée, dans un visuel surabondant qui hésite entre les lieux et les époques (scénographie signée par Tom Pye). Le programme de scène fait notamment largement référence à la Convention de Genève d’août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et au destin actuel des femmes esclaves dans les zones de conflit au Moyen-Orient. La musique de ballet est jouée, mais non dansée. La scène du défilé triomphal se veut statique, quatre cercueils recouverts de multiples distinctions (un peu à la manière soviétique) sont posés au sol devant une famille éplorée. Les costumes bigarrés vont d’un extrême à l’autre, entre soldats du IIIe Reich, soldats d’anticipation, envahissants masques d’animaux peu égyptiens d’ailleurs. Les chœurs surtout peinent à se déplacer, encombrés qu’ils sont. Le spectacle propose tout de même des tableaux visuels : La Grande Prêtresse tout de rouge sang vêtue chante et danse avec volupté depuis le naos du Temple sacré et la scène finale au dispositif ingénieux (le rideau s'ouvre partiellement pour montrer le caveau funèbre puis un créneau s'entrouvre pour laisser apparaître Amneris comme si elle se trouvait enfermée à demeure dans son désespoir).

Pour sa prise du rôle d’Aïda, Elena Stikhina domine aisément le plateau. Elle s’appuie sur un chant animé et particulièrement soigné, souple et portant une attention permanente au legato. L’aigu peut certes encore s’affirmer, la voix s’élargir un peu plus, la diction s’améliorer et le timbre se mordorer davantage. Mais la voie/x semble toute tracée. À ses côtés, le baryton Alexey Markov affirme un tempérament certain : la voix sonne avec facilité, ardente et aux graves percutants. Le duo Aïda/Amonasro à l’acte du Nil semble tout imprégné d’une authenticité et gravité verdienne.

Le Radamès de Yonghoon Lee est tonitruant. L’aigu passe systématiquement en force telle une déflagration. Il tente d’alléger un peu à certains moments, notamment dans son air d’entrée Celeste Aïda, mais la voix alors se détimbre et les harmoniques se perdent. L’Amneris de Marina Prudenskaya connaît des difficultés d'endurance vocale et son chant disparaît dans les ensembles. Si le médium est bien présent, le grave manque de consistance et l’aigu, notamment à la scène du jugement, se fragilise. La soprano Claire de Sévigné se distingue par son implication et sa tenue vocale dans le rôle de la Grande Prêtresse. Les deux basses, Liang Li, Ramfis d'un ton monocorde, Donald Thomson, Roi d’envergure aux sonorités profondes, et le ténor solide Denzil Delaere en messager, complètent la distribution.

À la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani donne de lui-même, sans pouvoir toutefois régenter des chœurs trop souvent en décalage en première partie mais d’une belle texture vocale d’ensemble. Il insuffle beaucoup de caractère aux passages les plus intimistes, servi en cela par les pupitres élégants de l’orchestre, tout en conférant aux moments plus glorieux leur juste dimension.
Ce spectacle a deux distributions et jusqu’au 22 octobre pour trouver de meilleures assises une fois les désagréments techniques dissipés.
