Jessye Norman (1945-2019), La Mort de Didon
Jessye Norman entre en musique comme on entre en religion, par le Gospel. À quatre ans déjà, sa voix est admirée dans ce style spirituel, religieux, qui accompagnera toute sa carrière, jusqu'à ses ultimes récitals. À neuf ans, elle reçoit en cadeau une radio et l'opéra, l'appareil lui permettant d'écouter les retransmissions du Metropolitan de New York. De la radio au disque, elle suit ses deux "modèles" absolues : Marian Anderson (1897-1993) et Leontyne Price (née en 1927 et qui lui survira donc), celles qui brisèrent avant elle la "barrière de la couleur" qui interdisait la scène aux non-blancs.
Entre l'université et l'église, les diplômes, les services et les concours de chant, Jessye Norman se forme aussi à Chicago auprès de Pierre Bernac, l'inséparable de Francis Poulenc et qui explique combien la soprano américaine est devenue une référence dans le genre de la mélodie française. Elle laissera des versions définitives de ces œuvres piano-voix, comme de la tragédie-lyrique, monologue en un acte La Voix humaine de Poulenc.
Poursuivant sa démonstration à travers les langues et les styles, Jessye Norman conquiert alors l'Europe, commençant par l'Allemagne en allemand avec Elisabeth (Tannhäuser de Wagner à Berlin en 1969), pour enchaîner sur la musique baroque Deborah de Haendel à Florence en 1970 puis le grand opéra dans cette même ville (L'Africaine de Meyerbeer), la même année qu'elle chante à Berlin la Comtesse Almaviva (Les Noces de Figaro, de Mozart). La dimension de son répertoire est aussi impressionnante que celle de sa voix, parcourant tous les ambitus féminins (du contralto au soprano), lui valant d'être comparée avec les plus grandes artistes de tous les temps.
La chanteuse est alors demandée dans les plus grands rôles sur les plus grandes scènes lyriques, mais elle se concentre bientôt sur les récitals et ne fait ses débuts américains que lorsque sa carrière est déjà parvenue à un zénith en Europe. D'abord Jocaste dans Œdipe roi de Stravinsky à Philadelphie en 1982, elle débute au Met en 1983 (passant de l'autre côté du récepteur radio qu'elle écoutait enfant), dans Les Troyens de Berlioz.
Ce Lamento d'une reine, mourant apaisée, restera sans doute l'image la plus éloquente et représentative accompagnant la disparition de cette légende. Pourtant, bien d'autres épisodes ont contribué à bâtir cette légende, dans la joie et l'exaltation. La France restera ainsi pour elle une Patrie de cœur, et réciproquement : Jessye Norman restant la figure inoubliable des commémorations célébrant le Bicentenaire de la Révolution. Si 1989 est la date de construction de la Bastille (où Jessye Norman ne chantera jamais, son seul rôle à l'Opéra de Paris ayant été Salle Favart : la Didon des Troyens de Berlioz en mars-avril 1984), 1989 est aussi -voire surtout- l'année où Jessye Norman chanta La Marseillaise Place de la Concorde dans une robe drapeau français.
À lire, le compte-rendu d'un Concert Hommage à Jessye Norman à la Philharmonie de Paris et notre série Hommage en Air du Jour