Les Larmes de la Vierge noire : La Chaise-Dieu en la Cathédrale du Puy
La fameuse Vierge noire de la Cathédrale Notre-Dame-de-l'Annonciation du Puy-en-Velay (objet de nombreux pèlerinages et point de départ vers Compostelle) ne pleure pas, comme le rappelle le curé local avant le concert. Il atteste toutefois que plusieurs fidèles pleurent chaque matin devant sa mine "hiératique", comme pleura la Vierge Marie aux pieds de son enfant Jésus crucifié.
Ce concert présente ainsi six visages (mais tous éplorés) de la Vierge Marie, dépeints par six compositeurs différents, sous autant de formes musicales : Oratorio (pour la Semaine Sainte de Luigi Rossi) se confondant avec un air d'opéra fougueux et fugué, Lamento d'opéra (Arianna pleurant en italien Thésée l'ayant abandonné, dont Monteverdi change simplement les paroles pour que Marie pleure en latin la mort de Jésus), Passion adressée à Jean composée par Perti, Passion selon Marie composée par Leonardo Vinci (la Mère narrant, telle une Évangéliste, l'histoire de son fils), cavatine-arias-récitatifs haletants de Ferrandini, et même une pièce instrumentale (Mort et sépulcre du Christ d'Antonio Caldara où l'absence de parole et surtout l'enchaînement de lignes légères rendent très difficile de percevoir le lien avec les larmes de la Vierge).
De fait, alors que tant de récitals et concerts mettent à l'épreuve le spectateur, qui doit (souvent en vain) chercher un lien quelconque ou une thématique entre des morceaux épars choisis au gré des envies et des répétitions des artistes, ce programme "Larmes de la Vierge" respecte son titre au pied de la lettre (comme de la Croix). Certes, pour tenir ce fil rouge, il a fallu piocher des airs épars à travers le répertoire baroque italien, offrant un résultat haché, collant entre eux les passages voués aux larmes de Marie dans différents opus. La diversité n'en est pas moins source de richesse mais aussi d'unité, par-dessus tout grâce à l'interprétation de la chanteuse.

Incarnant la Vierge, habillée de noir, Ambroisine Bré assume en effet la déploration doloriste permanente : la maintenant tout le concert durant, au bénéfice de la constance, au risque de la monotonie. La mezzo-soprano (récemment nommée parmi les Révélations lyriques des Victoires de la musique classique et interviewée par nos soins) déploie d'emblée de grands accents endoloris et les sanglots d'un vibrato serré, nourrissant la phrase d'un souffle mesuré en longueur mais parce qu'assez fourni en épaisseur. Les pleurs embrument constamment la ligne, sans pourtant jamais la noyer : installant au contraire une stase d'expressivité que la mezzo déchire par de soudaines plaintes lyriques (les lagrime, lamenti et spine épineuses). Cette gestion de l'expression et du souffle est idoine pour tourner sans trop se perdre, dans l'acoustique immensément résonnante de la Cathédrale. D'autant que les ornements vocaux, coutumiers du genre (et aussi des jeunes artistes souhaitant faire la démonstration de leurs talents) sont ici choisis avec grande parcimonie et pertinence.

Devant la statue de la Vierge noire, son incarnation charnelle du soir et devant l'autel, Christophe Rousset érige comme un second autel : la console d'orgue sur laquelle siège un clavecin. Le chef joue des deux instruments tout en dirigeant l'ensemble des musiciens dans un même esprit de bienveillance que vis-à-vis de la chanteuse. Les instrumentistes s'accordent toute la résonance possible dans ce lieu, grâce à des phrasés très placés et précis dans les mouvements intermédiaires (alors que les sautillés rapides et les solos de concertistes perdent entièrement la justesse).
Comme il sied pour se répertoire, la souffrance d'une mère est suivie par l'apaisement d'une Sainte élevée aux cieux dans des couleurs lumineuses. Le rythme s'apaise, le sanglot vocal et les accords de l'orgue s'allongent jusqu'au bis on-ne-peut mieux choisi : une section du Stabat Mater (Debout, la Mère des douleurs, près de la Croix était en larmes...) de Pergolèse.
