Peines d’amour perdues et recueillement aux BBC Proms
Le programme proposé s’articule autour de la thématique de la perte de l’être aimé et du deuil, avec en première partie l’Ouverture tragique de Brahms puis le Prélude et Liebestod de Tristan und Isolde dans sa version orchestrale, avant le Requiem de Mozart. Comme le capitaine d’un navire, mouvements amples des bras, hochements de tête directifs, baguette pointée au millimètre vers les solistes, Nathalie Stutzmann conquiert le public par l’infinie précision de sa direction, mais aussi par sa perception des nuances. Pour Wagner, le prélude, magistral et renversant, la tendresse, l’onctuosité même des violoncelles, les cuivres funestes, d’où sourd l’angoisse qui annonce la mort à venir, tout concorde à faire de la formation galloise un ensemble attentif à chacun des gestes de la cheffe. Le temps est suspendu par la musique et le silence accordé par le public avant les acclamations qui déferlent de toute l’immense salle.
L’entracte passé, le Royal Albert Hall accueille quatre solistes et le Chœur National du Pays de Galles de la BBC, préparé par Adrian Partington pour le Requiem. Chez les solistes, la soprano égyptienne Fatma Said effectue son baptême de Proms. Si le souffle semble un peu court à sa première intervention, son assise est davantage assurée par la suite. La diction est plus claire, les médiums de mieux en mieux tenus, surtout lorsque la voix est conjointe à celle du ténor sud-africain Sunnyboy Dladla, qui assure sa deuxième session des BBC Proms après L’Enfant et les sortilèges de Ravel l’année passée. Le ténor porte un prénom de circonstance, tant la voix est solaire, quasi féminine, chaleureuse, enjouée, la diction constamment claire, la portée assurée. La basse David Shipley apporte un remarquable contraste par ses graves d’outre-tombe. Le vibrato est toujours tenu sans accroc, la voix jamais couverte par l’orchestre. Si les médiums de la mezzo-soprano Kathryn Rudge sont remarqués, la portée est souvent à la traîne, le timbre fréquemment assourdi et le texte se perd dans un manque de clarté.
Sans partition, le chœur maintient une diction d’une clarté limpide. Les qualités vocales sont distribuées avec équité entre pupitres masculin et féminins, du Kyrie au Rex tremendae qui voit les chanteurs se lever comme un seul homme. Le Lacrimosa suscite même des murmures d’admiration d’un public habituellement tenu aux usages respectueux de la salle. Tension, déchirements, force, douceur, le chœur est sensible à toute la gamme d’émotions, et Nathalie Stutzmann, qui accompagne du corps et de la bouche la scansion, choisit de faire longuement durer la première syllabe de l’Amen final, qui renforce la puissance et la portée textuelle du célébrissime passage.
La précision des instrumentistes, la patte de la cheffe, l’exigence du chœur et du programme contribuent à offrir à ce vingt-sixième concert des BBC Proms 2019 un triomphe, exprimé par une standing ovation du public, parmi lequel les nombreux drapeaux gallois s’agitent avec joie et fierté !