Tosca en plein air par Agnès Jaoui s'empare du Château de Vincennes
Deuxième étape après le Domaine de Sceaux, c’est au Château de Vincennes que la production s’arrête, juste devant la Sainte-Chapelle qui surplombe ainsi la scène. Prêtant sa silhouette dentelée à l’espace scénique, elle offre un appui architectural qui sert à l’ensemble de l’œuvre, aidant à illustrer aussi bien l’église du premier acte que le Palais Farnèse, puis le Château Saint-Ange.
La mise en espace est pensée autour d’un écran central et d’un écran latéral, le premier accueillant des projections qui évoluent tout au long du spectacle (gros plans enregistrés sur les interprètes, évocations filmées), le deuxième servant principalement à accueillir le portrait de Marie-Madeleine au premier acte, à laquelle une statue de la Madone fait écho à l’opposé. Au deuxième acte, une grande table est dressée devant la projection d’un tableau composite, mêlant les images les plus violentes de la peinture baroque (L’Enlèvement des filles de Leucippe de Rubens, L’Enlèvement des Sabines de Ricci notamment), images qui entrent en résonance directe avec la position dominatrice de Scarpia sur Tosca.
À l’acte III, la représentation de la statue de Saint-Michel du véritable Château Saint-Ange à Rome orne les écrans accompagnée d’une nuit étoilée dès les premières évocations musicales de l'air légendaire E lucevan le stelle. Les costumes, signés Pierre-Jean Larroque, respectent la temporalité du livret et sont tous variés et élégants, aidant les interprètes à s’approprier leurs personnages et à jouer de manière naturelle : un travail attentif de direction d'acteurs aboutit à un jeu simple et sans caricature.
La direction d’orchestre, assurée par Yannis Pouspourikas est soutenue, bien que les instruments soient situés dans une fosse comprise au sein même de la scène. Les pupitres se trouvent amplifiés par microphones et il est de ce fait difficile d’entendre les nuances de la direction, certains instruments couvrant les autres, notamment les percussions. Malgré cette contrainte technique, le chef est à l’écoute des chanteurs (bien qu’il ne puisse pas toujours les voir) et n’éprouve pas de difficulté dans la rythmique parfois complexe de l’œuvre.
Du côté des chanteurs, La Maîtrise des Hauts-de-Seine & Unikanti dirigés par Gaël Darchen assurent leurs parties à la fin du premier acte avec professionnalisme et dynamisme. Piotr Kumon et Romain Pascal endossent respectivement les rôles de Sciarrone et Spoletta, tous deux sbires scéniquement investis. Le baryton-basse Yuri Kissin campe immédiatement et avec justesse le Sacristain, donnant de la couleur à sa voix autant qu’à l’allure bonhomme de son personnage. De même pour l’Angelotti de Javid Samadov animé d'une belle présence. Le baryton français Jean-Luc Ballestra interprète Scarpia. Doté d’un timbre expressif, la voix est équilibrée dans tous les registres et le chanteur sait modeler ses inflexions, sans perdre de mordant dans ses interventions. Son Te Deum manque un peu d'ampleur pour être pleinement ténébreux, mais il montre plus d'autorité au deuxième acte.
Le peintre Cavaradossi est incarné par le ténor italien Paolo Scariano. Sa voix légère manque de rondeur au premier acte, gênée par un vibrato serré dû peut-être au stress, mais le chanteur gagne en confiance dans la deuxième partie et offre son grand air avec des aigus sensibles, plus soutenus et affirmés. À l’image de son partenaire, la Tosca de Deniz Yetim s’épanouit plus particulièrement à partir de l’acte II où son incarnation s’approfondit en même temps que sa voix, au timbre séduisant et au phrasé soigné. Le médium peine parfois à être audible et le micro accentue sans doute la sensation d’un vibrato assez ample. Cependant, la chanteuse sait délivrer des accents poignants et sincères au fil de la soirée.
Il est à noter que le rôle de Tosca est tenu par trois chanteuses différentes selon les lieux (les autres étant Ewa Vesin et Karine Babajanyan, tandis que Christophe Berry sera Mario pour deux dates).