Les petites merveilles du Cendrillon d’Isouard à l’Opéra de Saint-Étienne
L’Opéra de Saint-Étienne est rempli ce soir d’un public très familial pour une œuvre qui sait effectivement séduire tous les âges :
inspirée du célèbre conte de Charles Perrault, Cendrillon
du librettiste Charles-Guillaume Étienne et du compositeur Nicolas Isouard (1773-1818) est un opéra-comique (alliant moments parlés et
numéros chantés) et un "opéra-féerie", créé en
1810 au Théâtre Feydeau, qui connaîtra un grand succès, notamment
grâce à ses mélodies charmantes, facilement mémorisables. Elles
furent particulièrement appréciées lors de la reprise à la Salle Favart avec la réorchestration d’Adolphe Adam (compositeur du Postillon de Lonjumeau récemment mis en scène à l'Opéra Comique) en 1845 mais cette
œuvre d’environ 1h30 souffrit continuellement et dès 1817 de la
concurrence d’une autre Cendrillon : La Cenerentola de
Rossini.
La production volontairement simple mise en scène par Marc Paquien laisse libre cours à l’imagination, encouragée par quelques petits tours d’illusion pour mener dans le monde merveilleux des contes : une citrouille qui s’élève dans les airs, un balai qui travaille tout seul, une canne qui apparaît comme par magie… Le décor gris-bleu d’Emmanuel Clolus est une maison construite autour d’un double escalier –aux marches vraisemblablement dangereusement glissantes – qui, selon sa rotation, devient château du baron ou palais du Prince. Si ce décor relativement sobre permet une immersion dans la féerie, les costumes, assez colorés, de Claire Risterucci, rappellent davantage les codes de notre imaginaire collectif. Il faut également compter sur les lumières de Dominique Bruguière pour installer avec simplicité et efficacité les différentes atmosphères de l’œuvre.
Comme
les airs d’Isouard, l’interprétation des jeunes solistes est
tout à fait charmante, à commencer par celle de l’attachante,
timide mais non dépourvue de personnalité, Cendrillon de la soprano
Anaïs Constans. Très claire de diction, son personnage rayonne par
la luminosité de ses aigus et sa présence scénique, incarnant
ainsi pleinement la morale de ce conte : la bonté et l’amour
finissent toujours par triompher de la jalousie et de l’avidité.
Son Prince charmant, Ramiro, est incarné par le ténor Riccardo Romeo, dont le léger accent ajoute en musicalité à ses
interventions parlées. Son timbre clair défend avec sincérité ses
beaux phrasés, qui manquent encore d’un peu de
largeur. Son précepteur, le sage Alidor, est interprété par le
baryton Jérôme Boutillier, donnant à son personnage l’assurance
de son jeu et de sa voix, avec laquelle il s’amuse aisément lors
de sa première intervention, déguisé en mendiant dont le chant est
volontairement aigre et faux. Retrouvant rapidement son timbre coloré, il convainc par la clarté de sa diction. Les
deux méchantes sœurs de Cendrillon ont droit à des interventions
virtuoses, mettant en valeur leurs talents de vocalistes. La plus
grande, Clorinde, est chantée par la voix fine, agile et lumineuse
dans les aigus de la soprano Jeanne Crousaud, dont l’auditoire
apprécie l’air Je chanterai. Il aurait
toutefois apprécié un peu plus de présence dans ses médiums lors
des moments d’ensemble, notamment à côté de sa sœur Tisbé, la
soprano Mercedes Arcuri. Celle-ci est admirable de prononciation et
d’assurance vocale, particulièrement lors de son air de bravoure
de l’acte III. Enfin, le Baron de Montefiasco de Jean-Paul Muel a la langue bien pendue et l’écuyer Dandini de Christophe Vandevelde, déguisé en prince, est aussi parfaitement ridicule : leurs voix railleuses ou pâteuses agressant volontairement l’oreille
lors de leurs rares et courtes interventions chantées.
Sous la direction très attentive de Julien Chauvin, les solistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire accompagnent une vingtaine de grands élèves de l’Académie d’orchestre du CRR de Saint-Étienne et du CRD du Puy-en-Velay. Profitant de cette expérience unique d’accompagner un opéra en fosse lors d’une représentation publique et en milieu professionnel, les musiciens montrent un travail de grande qualité. Si quelques défauts de justesse chez les vents et une couleur manquant un peu de chaleur chez les cordes peuvent trahir le niveau en cours de professionnalisation des musiciens, les reliefs et les intentions de l’ensemble sont grandement appréciés, tout comme l’accompagnement attentif et équilibré des solistes, avec des changements de tempi très propres, rondement menés.
Cette rare redécouverte sait ravir un public large, l’emmenant dans un monde féerique, merveilleuse occasion de mêler les générations, qu’elles se rencontrent dans la salle, en fosse ou sur scène.