Sondra Radvanovsky triomphe en récital à Bordeaux
Le
programme, explique-t-elle en anglais, veut montrer qui elle est en
tant qu’artiste, et en tant que femme, avec des moments
emblématiques de sa carrière. Ces moments se découpent en trois
parties. L’apprentissage d’abord : quelques arie
antiche (de
la
célèbre
collection des 24 chants italiens des XVIIe
et XVIIIe siècles,
passage obligé
pour tout élève de chant lyrique). Ensuite le bel canto qui l’a
rendue célèbre, avec Bellini, le jeune Verdi (Il Corsaro),
Donizetti (Roberto Devereux),
et Rossini (petit cycle, La regata veneziana). Un
troisième volet (re)trace
son
présent et son avenir dans le verismo (réalisme
italien).
Trois grands airs d’opéra suivent en bis, et en dernier cadeau,
une version toute personnelle de Somewhere
over the Rainbow.
Ouvrir le programme par le B.A BA du chant est un choix risqué - revoir son passé d’élève revient à se mesurer à qui l’on fut et l’ancien diamant brut de la jeunesse qu’elle devait être montre désormais dans ces airs antiques d’ambitus limité, un timbre très sombre, la voix presque rugueuse et comme troublée de résonances acerbes. En revanche, ses longues phrases sculptées par de subtiles nuances de volume dans Amarilli mia Bella de Caccini, ainsi qu’un pianissimo aigu dans O del mio dolce ardor de Gluck laissent entrevoir les merveilles à suivre.
Avec les chansons de Bellini, le timbre s’adoucit, s’éclaire et s’embellit. Le premier Verdi part d’une simple mélodie vers des ornements suraigus, avant de révéler la plénitude du bel canto : maîtrise de la « messa di voce » (technique de crescendo-decrescendo sur une seule note), des aigus lumineux, surprenants d’ailleurs par rapport au timbre sombre, riche et crémeux du reste de la voix. Sondra Radvanovsky offre cette particularité si rare de combiner l’ampleur, la richesse naturelle d’une soprano verdienne, avec une technique lyrique et une agilité de colorature dans les cadences. Elle fait en outre une démonstration de l’art du legato, glissant suavement d’une note à l’autre, sur un souffle inépuisable, comme une patineuse sur la glace, mais toujours au service de la musique et de l’émotion.
Son talent de comédienne se révèle dans le cycle de chansons de Rossini La regata veneziana. Radvanovsky explique comment Phyllis Curtin lui avait donné ce cycle à étudier lors d’un été à Tanglewood. Elle imite, en racontant l’histoire, la jeune innocente qu’elle était, moment d’auto-dérision désarmante.
Mais les moments les plus enthousiasmants du programme sont sans doute les grands airs d’opéra, comme des jeux de gladiateur, pleins de pièges et de tours de passe-passe, passant des graves poitrinés au contre-ré bémol en fil de voix, du pianissimo au long crescendo decrescendo a niente, avant la « maledizione ! » d’un si bémol enragé, tenu si longtemps. Radvanovsky sort absolument triomphante, transformant les Bordelais en fervents italiens, qui se perdent en bravi de plus en plus frénétiques. La salle réclame en bis l’air de Norma, « Casta Diva ». Si la chanteuse épuisée, le refuse, c’est en vérité qu’elle a déjà chanté Casta Diva toute la soirée, chaque air contenant les éléments de cet air souverain.
Anthony Manoli, son accompagnateur et coach préféré qui la soutient avec sûreté et discrétion, révèle alors son talent d’improvisation dans un très joli accompagnement jazzifé Over the rainbow, comme un écho au premier air du programme, Amarilli mia bella, déjà richement ornementé au piano.