Charpentier et Hersant à Radio France
L’œuvre de
Philippe Hersant, compositeur contemporain attaché à la musique baroque, a fait
l’objet d’une commande de Radio France il y a quelques années
pour former un diptyque sacré avec la Messe à quatre chœurs
du plus italien des compositeurs baroques français. L’effectif original
convoqué pour cette occasion constitue d’ailleurs un héritage
direct de la tradition italienne, chacun des chœurs étant doublé
par une famille d’instruments, respectivement les violons, les
violes, les anches et les cuivres. Malheureusement, la configuration
de l’Auditorium de Radio France ne permet pas que le public soit au
centre du dispositif polychoral tel qu’imaginé par les deux
compositeurs, si bien que le quatrième chœur est relégué derrière
la scène et ne peut guère qu’amplifier les tutti à la
façon d’un écho.
Sous la direction ample d’Olivier Schneebeli, les voix d’enfants des Pages du CMBV élèvent le son vers les demeures angéliques, malgré la dureté des u prononcés à la française, de d’autant plus discutables que l’œuvre est imprégnée du goût romain. Les jeunes solistes du premier chœur se distinguent particulièrement par une maturité d’expression et de timbre remarquable. De Charpentier, l’Ave verum corpus (H233) inséré entre le Sanctus et le Benedictus, écrit à la manière d’une sonate en trio, s’impose ainsi par son émotion et sa légèreté, avant de retrouver le rythme harmonique lent que commande l’effectif. Les effets de masse ainsi que le dialogue des chœurs et des solistes soulignent efficacement la rhétorique mise en œuvre par Charpentier, même si les échanges d’un chœur à l’autre occasionnent quelques problèmes de justesse.
Un même souci d’expression puissante du texte, quasi didactique, se retrouve dans le Cantique des trois enfants dans la fournaise qui puise aux sources du chant liturgique une inspiration modale. La scansion de l’octosyllabe sur lequel se construisent les dizains d’Antoine Godeau, poète spirituel élu en 1634 à l’Académie, innerve l’ensemble de la composition. Les théorbes, les bassons et l’orgue positif notamment installent sur ce rythme entêtant une basse continue toute moderne, fondation mouvante sur laquelle les solistes et les chœurs dirigés cette fois par Sofi Jeannin entonnent des respons (chant alterné entre un soliste et le chœur) variés. Les jeunes Pages du CMBV démontrent là encore toutes les qualités attendues d’interprètes adultes. Mais leurs aînés ne sont pas en reste : Renaud Bres, (baryton-)basse majestueuse et sonore, chante l’obscure douceur de la nuit avec la complicité de Lucas Bacro, plus nerveux, qui lui répond depuis le deuxième chœur, tandis que Paul Figuier, alto prometteur (« haute-contre » selon la terminologie française), déploie un timbre dense et éclatant pour invoquer le glorieux mystère des puissances naturelles.
Le disque à venir devrait confirmer les qualités des interprètes et permettre aux mélomanes curieux de baroque comme de contemporain de s’immerger au cœur du dispositif spatialisé dont le public de la Maison de la Radio n’a guère profité ce soir.