Mozart one-woman-show : Voi che sapete à l'Athénée
Les Noces de Figaro... à elle toute seule !
"Voi che sapete" (che cosa è amor) qui donne son titre à ce spectacle, signifie "Vous qui savez". Par cette première phrase de son air célèbre dans Le Nozze di Figaro (Mozart), Chérubin demande si ce nouveau sentiment qu'il ressent est bien de l'amour. Mais il pourrait aussi signifier ici Vous qui savez de quoi parlent Les Noces de Figaro, accrochez-vous tout de même pour suivre ce "seule en scène" rythmé où Romie Estèves incarne et chante tous les personnages pour raconter en 1h40 la pièce de Beaumarchais retravaillée dans le livret de Lorenzo da Ponte et mise en musique par Mozart. Le spectacle est en même temps la pièce de théâtre et l'opéra raccourcis, une succession de sketchs et de personnages déformés (autour de Chérubin, Barberine devient "Barbie" ne jurant que par la fourrure et le Comte un homme politique qui salue le peuple d'un "Casse-toi pauv' con" ou "Traverse la rue, t'en trouveras un"), mais aussi l'envers du décor d'un opéra en train de se produire, des séances de cours de chant ainsi que des séances de travail sur une version scénique (avec l'appel de tous les chanteurs absents ou le metteur en scène expliquant en voix off qu'Il est l'artiste, que son premier geste consiste à effacer toutes les didascalies de la partition, que le spectacle est le sien et que les chanteurs doivent s'y soumettre). Comme dans tout bon one-(wo)man-show, les moments drôles savent aussi alterner avec des épisodes plus mélancoliques, voire ici tragiques. Un passage en particulier décrypte l'un des sous-entendus tragiques de l'œuvre originelle, montrant une jeune fille abandonnée sous les reflets de la boule à facette après avoir été violée en soirée : elle chante "L'ho perduta, me meschina! Ah chi sa dove sarà?", aria écrite par Mozart pour Barberine, ne parlant pas que de la perte d'une épingle...
La performeuse principale de ce spectacle ne manque pas de souffle, ni d'énergie, l'ensemble est à la mesure du rythme général et de son abattage. L'amplification des passages parlés soutient une articulation très audible et les microphones sont heureusement chuintés dans les airs lyriques. Romie Estèves rappelle alors qu'elle est aussi une chanteuse d'opéra : elle a récemment montré son agilité sur La Ville morte à Limoges, une pétillante Suzy pour La Rondine à Toulouse et elle a déjà chanté Mozart sur scène : La Flûte enchantée à Saint-Étienne (en tant que Deuxième Dame). La voix se recule à mesure que les vocalises s'accélèrent, mais l'ensemble des lignes s'appuie sur un ancrage du médium (relativement grave et arrondi pour une mezzo), un vibrato enraciné aux harmoniques sinueuses : autant de qualités complémentaires pour le rôle androgyne, sérieux et candide du Chérubin (sans oublier de signaler que la chanteuse a pleinement réglé tous les soucis de justesse qu'une certaine nervosité scénique lui faisait parfois rencontrer).
L'accompagnement (renforcé par quelques bandes sonores enregistrées) est assuré par Jérémy Peret qui présente d'abord ses qualités à la guitare électrique puis à la guitare classique. En ces deux temps, il offre de savantes, intrigantes et amusantes réductions de la masse orchestrale dans ses six cordes (il en signe les arrangements), sachant conserver l'essence des accords, des rythmes et des mélodies (exploitant aussi les sonorités électriques et leurs différents effets modulés par une pédale pour rendre un vrai Mozart Opéra Rock).
Le public rapidement épaté par le rythme et l'énergie de la performance, surpris d'entendre une voix parlée, jouée et chantée, se prend à rire de bon cœur aux sketchs tout le spectacle durant et les applaudissements saluent le final avec beaucoup d'enthousiasme.