L’Or du Rhin dans les ors ressuscités du Grand Théâtre de Genève
Cette production de L’Or du Rhin se distingue déjà par sa lisibilité et son respect du texte. Dieter Dorn, avec son collaborateur de toujours Jürgen Rose pour les décors et costumes, ne cherche pas à imposer une relecture aléatoire du prologue du Ring ni une variation trop intimement personnelle sur le sujet. Il choisit de valoriser les clés de lecture imposées par Richard Wagner. Après un bombardement de vidéos de guerre et de malheurs mais qui s’estompent vite, les Nornes apparaissent déroulant une pelote toute dorée tandis que les futiles Filles du Rhin surgissent au milieu d’un imposant empilement de boîtes en carton et de créatures aquatiques inquiétantes.
Les dieux végètent au désert auprès d’une tente de fortune dans l’attente de la livraison du Walhalla, avant de pouvoir enfin gagner leur nouvelle résidence en ballon. La scène se soulève à mi-hauteur pour faire apparaître l’antre d’Alberich et de son peuple devenu esclave de l’Anneau, un monde terrifiant pliant sous la tâche. Les transformation successives d’Albérich en serpent monstrueux, puis en crapaud, sont particulièrement marquantes. La trajectoire se veut donc simple, mais pas simpliste.
La mise en scène donne libre cours au talent des interprètes, en premier lieu le baryton-basse Tomas Tomasson, Wotan complexe et habité. Sans excès de nuances, sa voix emplit totalement le rôle, longue et au timbre doté de couleurs profondes. Sa haute silhouette, qui avec le maquillage n’est pas sans évoquer le personnage de Nosferatu, attire irrémédiablement l’attention. La mezzo Ruxandra Donose lui oppose une Fricka racée, fort éprise de son époux et encore soumise. Le baryton Tom Fox, anciennement Wotan dans cette même production, impose un Alberich de superbe allure et intensité dramatique, même si le registre aigu semble désormais à la peine.
Deux belles voix de ténors illuminent la représentation. Stephan Rügamer incarne un Loge virevoltant d’aisance scénique, cynique à souhait et prêt à toutes les trahisons. Sa solide voix claire fait preuve d’une réelle virtuosité et donne tout son caractère ambivalent au personnage. Le Mime du ténor finlandais Dan Karlström, est presque un luxe tant le matériau vocal prône le beau et l’intelligence.
Agneta Eichenholz retrouve avec legato et la fraîcheur requise le rôle de la déesse Freia présentée en 2013. Stefan Genz -Donner- et Christoph Strehl -Froh-, complètent avec talent et surtout solidité la cour des dieux. La voix tonnante et bouillonnante de la basse russe Alexey Tikhomirov apporte un relief spécifique au géant Fasolt, qui dans la mise en scène de Dieter Dorn, semble désespérément épris de Freia. Plus caverneux, plus redoutable, le Fafner de Taras Shtonda, basse d’origine ukrainienne, augure déjà de son incarnation du dragon dans Siegfried.
Après un début difficile, sinon décalé par rapport à l’orchestre, les Filles du Rhin se rétablissent mais les voix des trois cantatrices ne s’harmonisent pas idéalement : Polina Pastirchak (Woglinde), Carine Séchaye (Wellgunde), Ahlima Mhamdi (Flosshilde). De même, le contralto de Wiebke Lehmkuhl manque d’épaisseur et de réelle gravité pour Erda, la déesse de la terre.
La direction musicale de Georg Fritzsch, placé à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, laisse un rien perplexe par son parti-pris presque exclusif de lenteur. Le long et essentiel prélude de L’Or du Rhin peine à émerger des ténèbres, puis le temps s’étire sans réelles envolées, sans forcer la générosité jusqu’à la montée au Walhalla qui tout à coup se pare de justes couleurs. Il faut donc attendre la suite de ce Ring important pour appréhender plus avant les intentions du chef d’orchestre, mais aussi du metteur en scène.
Le public absolument ravi de retrouver son théâtre enfin resplendissant (notre article) accueille avec enthousiasme cette représentation d’ouverture, en attendant les trois prochains épisodes (à retrouver sur nos pages).