Katherine Watson et Alexis Kossenko à l’Opéra du Roi Soleil
Des
extraits de ballets de cour et de comédies-ballets
évoquent
la jeunesse du roi, tandis que des pages
célèbres
ou inconnues témoignent de la richesse du répertoire de l’Académie
Royale.
Le programme de ce récital rend hommage au créateur de l’opéra
français, Lully, qui régna sans partage sur la musique de théâtre,
ainsi qu’à ses contemporains et successeurs immédiats, qui pour
certains furent ses disciples. Les partitions choisies, en grande
partie inédites, ont été exhumées par le Centre de Musique Baroque de Versailles et feront l’objet d’un enregistrement qui sera
l’occasion pour la chanteuse de graver son premier récital au
disque.
La musique était omniprésente à la cour de Versailles, accompagnant la plupart des rituels profanes ou religieux. La perfection des ensembles instrumentaux (les 24 violons du Roy) et la grandeur des œuvres firent du style français un modèle dans toute l’Europe. Ainsi l’ouverture « à la française », mise au point par Lully comme introduction à ses œuvres scéniques, devint-elle un modèle stylistique de Bach à Haendel. Son caractère solennel et imposant est assumé ce soir par les 18 violons des Ambassadeurs auxquels s'ajoutent flûtes, hautbois et bassons le tout soutenu par une basse continue (basse de viole, contrebasse, clavecin et théorbe) et ceci à quatre reprises : lors des ouvertures d’Atys (Lully), d’Alcione (Marin Marais), du Malade imaginaire (Marc-Antoine Charpentier) et d’Amadis de Grèce d’André Cardinal Destouches (compositeur dont l’opéra Issé sera représenté en version concert le 13 octobre prochain dans ce même Opéra Royal). Sans bâton pour indiquer le tempo à l’orchestre, Alexis Kossenko chorégraphie le phrasé de gestes tantôt saccadés pour obtenir les rythmes doublement pointés tantôt amples permettant une articulation généreuse.
Dans un même temps, Lully compose des opéras appelés tragédies lyriques, dans lesquels les scènes dramatiques sont traitées en forme de récits fondés sur les impulsions de la déclamation. Katherine Watson distille l’émotion de ces récits : sa formation auprès de William Christie (personnalité incontournable pour ce répertoire), au sein du Jardin des voix et ensuite des Arts Florissants, lui a assuré une connaissance exemplaire du style requis. De plus, sa diction irréprochable suit le texte au plus près, sans qu’aucun mot ne soit laissé au hasard. La souplesse de sa vocalité lui permet des nuances subtiles de vibrato. Ainsi les sons droits appuyés (appogiatures) se résolvant dans une légère vibration soulignent-ils certaines paroles cruciales (amour, espoir, peine, épouvante) et renforcent-ils le caractère pathétique des récits. Elle peut aussi soutenir sa voix dans un vibrato généreux, extériorisant son interprétation quand elle en appelle à la fureur et à la vengeance.
Lors de ses deux premières interventions, le récit d’Eurydice extrait d'Orphée de Louis de Lully (fils du maître) et celui d’Ariane extrait d’Ariane et Bacchus de Marin Marais, la voix est par moment couverte par l’orchestre et l’interprétation est empreinte d’une certaine réserve. Cependant, dans le récit extrait de l’opéra d'Henry Desmarest, la soprano évoque les tourments de Circé abandonnée et livrée à la rage avec une grande ferveur entrecoupée de silences évocateurs. Elle ose plus de nuances, donne plus de relief et de contrastes selon qu’elle exprime la fureur ou la peine. L’orchestre change également de couleur, optant pour des sonorités plus graves afin d’évoquer les sombres Marais du Styx. Le caractère pathétique s'exprime aussi en italien et « Deh piangete » extrait de Psyché de Lully dont le double (reprise ornée) est dû à Michel Lambert, achève la première partie du concert dans une grande douceur. La soprano, accompagnée du seul théorbe, agrémente l’air de multiples ornements et se révèle experte en accents, ports de voix, coulés ou tours de gosier.
Si le grand style français s’épanouit tout le long du règne de Louis XIV, il est concurrencé par de nouveaux accents venus d’Italie tout en mélodies brillantes et en développements virtuoses : c’est l’époque des goûts réunis qui donne un nouveau souffle à l’art musical français. Aux cotés d’André Campra et Marin Marais, Jean-Baptiste Stuck se démarque. Dans « C’en est donc fait », extrait de Polydore, Katherine Watson démontre son art de la vocalise aux côtés de la virtuosité des cordes.
Les pages instrumentales du programme permettent d’établir des liens entre les différents récitatifs-airs afin d’éviter des coupures abruptes, ces récits faisant partie d’un flux continu de musique au sein de l’œuvre dont ils sont extraits. Les violons de l’orchestre, au son acidulé et riche en harmoniques aiguës, dialoguent avec les flûtes qui parfois mettent quelques mesures à obtenir la justesse et un son homogène. Alexis Kossenko, flûtiste reconnu, passe de la direction à la flûte avec une grande dextérité. Il opte pour la flûte basse afin de compléter le quatuor lorsque les instruments évoquent le sommeil (Ariane et Bacchus). La flûte soprano devient oiseau (Les fêtes de l’été de Montéclair) et le traverso, ruisseau, dans l’extrait d’Idoménée de Campra. Cet air délicieux est repris en bis pour le plus grand plaisir d’Alexis Kossenko qui se munit à nouveau de sa flûte pour un duo tout en douceur avec la soprano. Le plaisir est aussi pour le public qui savoure une dernière fois les sonorités qui arrachèrent, en leur temps, des larmes de plaisir à des spectateurs conquis.