Mark Padmore & Simon Lepper à La Monnaie, Lied allemand intime et précis
Le
répertoire
exigeant du Lied allemand 1810-1840 s’offre
au public bruxellois avec Mark Padmore (interprète par ailleurs
également à son aise dans la langue anglaise de Britten), qui
propose un programme d’une
apparente simplicité,
entre les Kerner Lieder
de Schumann (poèmes signés
Justinus Kerner)
et An die ferne Geliebte
(À
la Bien-aimée lointaine,
sur des poèmes d'Alois Jeitteles) de
Ludwig van Beethoven.
Considéré comme le premier cycle de Lieder dans l’histoire de la musique (composé entre 1815 et 1816, près d'une décennie avant les célèbres cycles de Schubert), c’est un réel retour aux sources romantiques qu’offre le ténor à sa Bien-aimée lointaine. Sombre, mesuré et rendu prudent par une nostalgie mortifère, le ténor arrive sur scène et à peine pose-t-il la main sur l’antre du piano que le concert commence. La souplesse au clavier de Simon Lepper et la douleur d’une voix aux vanités picturales, balancent le rythme de Beethoven et se présentent en symbiose.
La voix de Mark Padmore, est de celles qui révèlent la musique avec un génie discret, au service total de la partition. Veloutée, légèrement ornementée d’un minimalisme élégant, le geste est droit et le regard presque effacé. « Mailied » (Chant de Mai) dépeint ainsi avec clarté l’imagerie romantique de Goethe, un instant de bonheur pur arraché de tourments soudains. En permanent réajustement, le chanteur semble happé, entre narrations et empathie, offrant un récitatif engagé.
Les graves sont maîtrisés avec une retenue égale dans les aigus. Rien n’est de trop, la langue allemande se forme avec une diction parfaite, soufflée, profonde et agile. Agile surtout pour « Aus Goethes Faust » avec une vélocité redoutable et une diction allemande sans faille. Le clavier vif et tempéré équilibre la folie et la savante absurdité du texte.
Plus sombre encore, le cycle « Zwölf Gedichte » de Schumann plonge l’auditoire dans un monde plus excentrique, névrosé, malade et guérisseur. Tiré des textes de Kerner, médecin reconnu de la littérature allemande, considéré comme un visionnaire fou par nombre de ses contemporains, la magie opère. Touché en pleine affliction, Schumann s’approprie les textes de Kerner avec une compréhension curative. En effet, en pleine période de mélancolie, Schumann rompt avec sa passion des poètes du nord de l’Allemagne, et se focalise sur Kerner, considéré comme une âme sœur.
Guérir l’affliction mentale par la musique et la compréhension de la nature offre à Schumann un exercice cathartique, une attention inédite à la tenue littéraire et la portée musicale du Lied. « La signification prend le pas sur la pure prouesse virtuose, l’écriture vocale est exigeante et la partie pianistique demande de l’auditeur une attention au moins égale » révèle Mark Padmore, en accord total avec la vision de Schumann. Stirb’, Lieb’ und Freud’ (Mort, Amour et Joie) peut alors se dessiner en allers-retours graves, tempérés d’une simplicité désarmante. Le chanteur statique s’oppose aux balancés énergiques du pianiste.
Le duo d’une belle complicité étonne par une répartition des mouvements et humeurs littéralement opposées. Le dialogue existe ici entre narration et peinture émotive d’une complicité redoutable.