Herreweghe, Wagner et Bruckner referment Saintes 2018 en fanfare
Étonnante et de qualité, voilà en effet ce qui résume le programme : Philippe Herreweghe dirige Wagner et Bruckner à Saintes. Herreweghe est en effet célèbre (d'aucuns diront déjà historique) dans le répertoire de Bach, aussi éloigné de Wagner et Bruckner que l'acoustique abbatiale l'est a priori d'un grand orchestre symphonique allemand !
Il s'agit pourtant de la continuité logique du projet même de l'Orchestre des Champs-Élysées, cofondé par Herreweghe et Alain Durel en 1991 pour jouer sur instruments d'époques : baroque, classique, premiers romantiques, puis qui s'est élargi naturellement à Mahler, Bruckner, et même, plus récemment, Strauss et Wagner. Quant à l'adaptation de la musique à cette acoustique, elle touche à l'évidence pour Herreweghe qui la connaît pour avoir été Directeur artistique des Académies Musicales de Saintes entre 1982 et 2002.
La soprano hollandaise Kelly God s'y retrouve aussi, posant son chant sur une grande qualité d'articulation. Elle savoure chaque syllabe, le regard et le menton levés, la projection assurée, tranquille, qui résonne sur les filins des cordes en fins de phrases. Elle déploie ainsi la dramaturgie opératique (Wagner oblige) des cinq Wesendonck Lieder. Haletante et ample à mesure que l'orchestre s'épaissit, elle sait d'abord estomper son vibrato dans des conclusions adoucies ou bien le strier sur les passages plus expressifs. Mais la voix lancée par les trois premiers morceaux échappe ensuite à son plein contrôle et à la justesse. La soprano cherchera sans doute à maîtriser les descentes aussi bien que les montées en étant programmée dans la plus grande (dé)mesure d'un opéra wagnérien, les cinq heures aidant (alors que les Wesendonck doivent exprimer en seulement 20 minutes l'affection de Wagner, des sentiments tels qu'il composa sur les poèmes de Mathilde Wesendonck les seules pièces vocales dont il ne fut pas l'auteur des paroles).
Le Lied central, "Im Treibhaus" (Dans la serre, titre de circonstance car la température monte dans l'abbaye !), n'en demeure pas moins merveilleux, appuyé tour-à-tour sur le souffle diaphane de l'alto, puis celui de la flûte, avant que "l'éclat vide du jour" ne se mêle au sanglot de contrebasse.
Kelly God ayant la qualité de capter l'attention, la Quatrième Symphonie de Bruckner (la « Romantique ») permet d'étudier davantage la direction de Philippe Herreweghe, désormais seul à l'avant-scène. Impossible de parler de "battue" car le chef ne bat pas la mesure, mais fait frétiller les amples revers de sa tunique noire par des mains tremolo, qui s'apaisent en vaguelettes ou deviennent tranchantes.
Comme pour Wagner, la direction non-conventionnelle dans ce lieu inattendu produit pourtant un résultat de qualité, à commencer par le son emplissant l'abbaye comme un vaisseau spatial sonore (Star Wars s'est évidemment inspiré de Bruckner et des symphonistes germaniques post-romantiques pour sa bande-son). Dans ce répertoire d'outre-Rhin, l'orchestre français brille par sa qualité de timbres chaleureux (notamment les bois et même les cuivres). Force est cependant de constater que la phalange est davantage chez elle dans son répertoire national (comme récemment l'anniversaire Debussy). Il n'est qu'à entendre le manque d'endurance finale et qu'à voir des archets désynchronisés pour se rendre compte qu'il manque la précision d'Outre-Rhin.
La réception du public ne fait cependant pas défaut, acclamant, rappelant les interprètes, obtenant de nouveau le dernier des Wesendonck Lieder, en bis, avant de quitter l'Abbaye pour conclure ce Festival par un verre de l'amitié et un set DJ sous la grande toile. Bon vent et à l'année prochaine.