Samson et Dalila à Metz : émeraude, aime et rôde
Le peuple erre dans l'obscurité, autour d'un rocher qui se révèle être le corps endormi de Samson : son sacrifice, son destin (devenir un rocher dans le temple enseveli pour sauver son peuple) est annoncé d'emblée par la mise en scène de Paul-Émile Fourny qui file avec esprit quelques symboles (avec une belle maîtrise des lumières par Patrice Willaume), au sommet desquels figurent quatre couleurs : le noir (du plateau représentant la servitude des israélites), le blanc (de Samson, annonçant son sacrifice), le bleu outre-mer (des philistins, étonnante couleur pour un peuple cruel) et le vert émeraude de Dalila. Il suffit de suivre l'évolution raffinée des costumes (conçus par Brice Lourenço) selon ce code couleur pour pleinement suivre l'intrigue : le peuple israélite en blanc est comme emprisonné dans d'immenses manches bleu outre-mer (représentant leur asservissement par les philistins), la tunique bleue du Grand-Prêtre se couvre progressivement du vert de Dalila, à mesure qu'elle se lie à lui, tandis que la robe émeraude de Dalila se charge de bleu. Cette symbolique est abritée par un plateau à la scénographie mobile et efficace : de sombres pilastres (de Marko Japelj) se referment au fur et à mesure sur Samson, le peuple (et le public).

Longs cheveux noirs en fines nattes, Jean-Pierre Furlan incarne le rôle-titre masculin. Rarement Samson aura si mal porté son nom : le ténor (très barytonnant) dispose d'un volume qui satisferait assurément des salles bien plus vastes. La puissance ne se mesure pas qu'en décibels, tant son timbre métallique contribue aussi à pétrifier l'auditeur (ce qu'il fait fort bien sur le second "Je t'aime" suraigu ponctuant "Mon cœur s'ouvre à ta voix", mais qu'il aurait pu déployer encore davantage à la toute fin de l'opéra, lorsqu'il fait s'effondrer le temple). Cette puissance va toutefois de pair avec une constante tension, au point que les déraillements et la fatigue précoce ne surprennent pas, ils se manifestent surtout par un vibrato de plus en plus rapide et une ligne mélodique de plus en plus laxe (il déploie toutefois certaines lignes avec force longueur de souffle). Comptant davantage sur son timbre claironnant que sur son jeu pour incarner son personnage guerrier au premier acte, il sait toutefois se montrer friable devant la séduction de Dalila et dans la sublime détresse du personnage au dernier acte, les yeux crevés, avec sur les épaules une poutre de bois le métamorphosant en Christ de souffrance (notamment pour qui lève les yeux et voit son ombre de Sauveur en Croix au plafond).

Avec la Dalila de Vikena Kamenica, l'Opéra-théâtre de Metz déniche une fois encore une formidable découverte vocale (comme Yana Kleyn dans La Bohème au début de la saison). La mezzo qui était déjà Mamma Lucia (rôle de contralto !) sur cette scène il y a deux ans presque jour pour jour, démontre dès sa première intervention qu'elle dispose de toutes les notes du rôle, s'ancrant sur son grave poitriné pour monter vers des aigus suaves. "Qu'importe à Dalila ton or ! Et que pourrait tout un trésor Si je ne rêvais la vengeance !" lui permet -outre de montrer la soif de vengeance froissée du personnage- de parcourir avec maîtrise la transition à travers trois registres en un même souffle. "Dalila venge en ce jour son dieu, son peuple et [surtout] sa haine !" envers Samson qui n'a pas cédé immédiatement à son charme et ne lui a pas d'emblée révélé le secret de sa force (ses cheveux). La prononciation du français lui fait cependant défaut, en particulier concernant les nasales dont elle ne dispose pas du tout (problématique pour un opéra qui se nomme Samson).
Patrick Bolleire campe comme il se doit un Abimélech détestable, étranglant les femmes, humiliant et dénudant les hommes, tout en conservant une pleine maîtrise de sa puissance, jusqu'au pianissimo dolce dans son français modèle. Il en ferait même regretter que son personnage inqualifiable meurt si tôt (lorsque Samson lui tord simplement le poignet). Son maître, méchant et impie en chef se riant de la colère de Jéhovah, le Grand Prêtre Alexandre Duhamel donne une seconde jeunesse à l'orchestre, faisant rutiler les cuivres sur son propre timbre et ses lignes franches et directes au service de l'articulation. Ses accents (toujours lyriques) sont tels des crachats adressés au peuple soumis.
Wojtek Smilek est un Vieillard Hébreu sombre, glaçant. Les trois derniers interprètes à citer tiennent ces rôles aussi petits que redoutables : n'ayant chacun qu'une seule phrase pour montrer leurs talents. Le Premier Philistin Éric Mathurin en tremble d'inquiétude (comme son personnage face à Samson, cela dit), le Deuxième Philistin Jean-Sébastien Frantz articule son grave avec davantage de rondeur, avant que le messager Daegweon Choi ne dissèque une ligne excessivement hachée, incompréhensible et engorgée (mais pourtant assez belle dans sa projection).

La partition de Saint-Saëns offre de splendides pages chorales, les chanteurs des lieux (Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole) leur rendent hommage : les femmes sont bien maturées au début de l’œuvre avant d'alléger avec ravissement en répandant des pétales sur le plateau, les basses se charpentent sur les graves des contrebasses. Si les ténors serrent un peu, l'ensemble des interprètes emplit la scène en s'y traînant éloquemment : peuple accablé par ses malheurs, pas par la musique. L'Orchestre national de Lorraine dirigé par Jacques Mercier propose un discours rythmique très franc, dès l'ouverture allante et hachée, s'assurant grâce à de limpides mouvements fugués aux éloquents crescendi. La justesse est présente dans les graves mais très incertaine dans le médium des cordes. Hommage doit alors être rendu aux harpes placées en loges (comme leurs comparses percussionnistes en raison de l'orchestre exigé par Saint-Saëns comparé à la fosse de Metz) et qui sont aussi en place dans leur jeu que pour allumer et éteindre les lumières de leurs pupitres ! Mention doit enfin être faite de la dizaine de danseurs principaux du Ballet de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole (chorégraphie Laurence Bolsigner-May), pistaches vaporeuses (hommes comme femmes).
Couvert du sang d'un sacrifice païen, devant les flammes vidéo-projetées, Samson est ligoté, précisément dans les manches immenses des esclaves (du début de l’œuvre), des manches accrochées aux piliers du Temple, qu'il effondre dans une fureur divine : les pilastres se refermant sur les personnages et le spectacle acclamé.
