Éclatante Messe en ut de Mozart au TCE
Si la Messe en ut de Mozart bénéficie d’une moindre visibilité que le Requiem (dont la genèse nourrit l’hagiographie mozartienne), elle n’en reste pas moins une œuvre majeure du compositeur. Écrite en 1782, alors que le jeune Mozart est âgé de 25 ans, elle montre des influences variées (Bach et Haendel notamment) incarnées par un usage des doubles chœurs ou du style contrapuntique dans certains passages où se déploient de nombreuses lignes écrites en imitations (fugues, canon) mêlées à la grâce de l’écriture, le style galant étant toutefois délaissé pour une profonde dévotion spirituelle. Demeurée inachevée (l’Agnus Dei est absent, alors que le Sanctus est en partie perdu), la Messe en ut se compose de cinq parties : le Kyrie, introduit vocalement par un arpège de do mineur déployé sur un large ambitus, un Gloria en huit parties, un Credo, un Sanctus et un Benedictus. Si certains musicologues se proposent de compléter les parties manquantes de l'ouvrage en vue d'en montrer une version reconstituée, Masaaki Suzuki offre, accompagné de son fidèle Bach Collegium Japan et des solistes Carolyn Sampson, Olivia Vermeulen, Zachary Wilder et Dominik Wörner, la chair de l'œuvre telle qu’elle fut composée de la main du compositeur. L’opus est précédé de la Symphonie n°48 de Haydn qui, écrite dans un do majeur flamboyant, entre en correspondance avec l'ut mineur de la Messe mozartienne.
Du premier opus, le chef et son ensemble signent une interprétation d’une précieuse élégance, chacun des quatre mouvements composant une fresque distinguée. Solennel, le premier mouvement montre un orchestre plein d’élan. Les lignes sont jouées avec une précision saisissante, incarnées par des mouvements d’archet coordonnés au millimètre au sein des différents pupitres des cordes. De cette attention dans le jeu émane un son d'une grande clarté qui rend distinctement audible chaque membre de l’effectif. L’Adagio ("à l'aise") est porté avec beaucoup de relief. Les lignes sont élancées, les respirations entre les phrases bien menées, laissant l’impression d’un discours plein de délicatesse, puis s’emballant dans un menuet à la frontière du dansant et du triomphant. Habile peintre des couleurs mineures du trio (dans lequel un court thème revient sans cesse sous les doigts des musiciens, question lancée dans les airs et laissée en suspens), l’ensemble se fait virtuose dans le Finale écrit tout en croches. Sous les mouvements agités d’un Masaaki Suzuki attentif aux différents pupitres, il déploie une technique sans faille mêlée à une grande expressivité, y compris dans les passages les plus prestes où s’élancent des gammes fusées, flammèches incandescentes des violons aux contrebasses.
Après un bref entracte, le chœur du Bach Collegium Japan rejoint les instrumentistes pour la Messe en ut de Mozart, accompagnés des quatre solistes. Porté dès les premières mesures de l’ouvrage par une belle énergie, l’ensemble est d’une grande homogénéité et déploie progressivement dans le Kyrie initial l’étendue de son amplitude vocale jusqu’à de puissants fortissimi transmettant avec justesse l’intensité dramatique de l’opus mozartien. Les passages triomphants (Gloria) montrent un chœur plein d’une noble ferveur, alors que certains passages plus mesurés, tel le Largo "Qui Tollis", leur permettent de dévoiler des nuances très expressives, en particulier lorsque des piani subiti précèdent un crescendo savamment amené. En accord avec les mouvements des musiciens, ce chœur montre une prosodie d’une précision rythmique démentielle, avec de belles syllabes finales résonnant à l’unisson.
Chez les solistes, Carolyn Sampson offre une voix souple et délicate, en particulier dans l’Andante "Et incarnatus est" où, accompagnée des bois chaleureux et de la flûte traversière, elle dessine des lignes accortes, chaque note pesée et délicate. Bravant les sauts d’octave avec brio, elle passe de graves ombragés à des aigus clairs, puis s’envole vers quelques suraigus limpides et décharnés. Voix au timbre cendré, la mezzo-soprano Olivia Vermeulen déploie des médiums d’une belle rondeur et des aigus corsés. Elle tend toutefois à perdre en justesse dans les notes les plus aiguës et à s’essouffler dans des vocalises exécutées à un tempo redoutable. Ensemble dans le Domine Deus, les deux artistes offrent de séduisants échanges de thèmes, alliant précision rythmique et phrasé délicat.
Entendu dans la fugue à trois voix Quoniam tu solus et dans le quatuor final, le ténor américain Zachary Wilder dévoile une voix bien projetée sans effort. La conduite mélodique est d’une grande souplesse, entre des médiums bien timbrés et des aigus chatoyants qui, dans le trio, s’accordent admirablement aux timbres des deux. Au sein du chœur excepté lors du Benedictus, Dominik Wörner est une voix de baryton-basse chantante pleine de caractère, aux médiums élancés et aux vocalises appuyées.
Chaleureusement accueillis, le chef, l’ensemble et les solistes reçoivent d’abondants bravi et applaudissements, montrant une audience conquise par la sagace interprétation des deux ouvrages proposés lors de cette soirée au Théâtre des Champs-Élysées.