The Beggar’s Opera en comédie musicale aux Bouffes du Nord
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Avant le début du spectacle, le public discute de la chaleur écrasante, des grèves des transports et des murs de carton qui forment la scénographie de James Brandily. Soudain, la lumière s’éteint et une sirène retentit. De jeunes gens habillés en « loubards », capuche et cheveux hirsutes, se ruent sur la scène, prenant le plateau d’assaut et tirant de quelques cartons des instruments de musique : certains, les musiciens des Arts Florissants avec à leur tête William Christie, lunettes noires (qu’il changera au cours de la représentation), blouson de cuir et queue de cheval, s’installent à jardin tandis que les autres démarrent une chorégraphie parfaitement synchronisée en chantant le chœur d’entrée. La température de la soirée est donnée.
The Beggar’s Opera, ou l’Opéra du gueux en français, est un ballad opera, équivalent anglais de l’opérette avec un sujet satirique et une alternance de dialogues parlés et d’airs chantés. Écrit par John Gay, il est retravaillé par Ian Burton et Robert Carsen pour lui apporter des répliques modernisées, faisant référence à l’actualité. Quelques longueurs y subsistent, notamment dans les scènes de prison qui peinent à surprendre. L’intrigue pourrait être résumée par la devise de Mr. Peachum : « Dans la vie, chacun arnaque son voisin ». L’issue, totalement abracadabrante avec son improbable Deus ex machina (le gouvernement est renversé au moment où le brigand Macheath doit être pendu, et ce dernier est nommé, sans avoir rien demandé, ministre de la justice !), laisse le spectateur sur sa faim.
Composé en 1728, il est ici proposé au public sous un format de comédie musicale. Les neuf jeunes musiciens (qui ont leur partition sur tablette) alternent ainsi les styles avec implication et enthousiasme, du baroque à la country en passant par la variété, avec un brin d’orientalisme. Les interprètes, au charmant accent british, sont de très bons comédiens, d’excellents danseurs et acrobates, et d’honnêtes chanteurs pour qui n’aurait pas les standards lyriques dans l’oreille.
Kate Batter sort toutefois du lot dans le rôle de Polly. Sa voix légère et acidulée dispose de beaux aigus et d’un léger vibrato, à peine perceptible. Son phrasé s’appuie sur une technique de chant baroque bien maîtrisée. Son amant, le Macheath de Benjamin Purkiss, physique de jeune premier (avec une mèche rebelle et le sourire de Jean Dujardin) est moins à l’aise, connaissant d’importants problèmes de justesse (alors qu’il doit chanter un passage a cappella). Son timbre, légèrement barytonnant est toutefois agréable et colle au personnage.
Mr. Peachum dispose du beau timbre clair de Robert Burt, mais sa ligne vocale manque d’assise. Beverley Klein (sa femme) offre une voix rugueuse au large vibrato. La Lucy d'Olivia Brereton tient un phrasé sauvage et une voix émise depuis le haut de son instrument, qui gagne en structure dans les passages les plus doux. Son père, Lockit (bien nommé gardien de prison), est chanté par Kraig Thornber, avec sa voix âpre de méchant.
La mise en scène de Robert Carsen (qui suit le spectacle assis au troisième rang, récitant le texte, riant de bon cœur et dictant des remarques à son collaborateur) est très rythmée. Au-delà de sa façade de cartons, la scénographie se révèle ingénieuse et pleine de surprises, jouant avec l’imaginaire des spectateurs : selon leur disposition, les quatre mêmes cartons forment un bureau, un bar ou un échafaud. Un public nombreux aura l’occasion d’admirer la direction d’acteurs déjà aboutie du metteur en scène : la pièce démarre aux Bouffes du Nord une impressionnante tournée qui parcourra la France (19 salles) en 2018/2019, ainsi que l’Italie (3 salles), le Royaume-Uni, la Suisse, le Luxembourg et la Grèce, et qui devrait se poursuivre en 2019/2020.