Claude Debussy et Lili Boulanger célébrés au Musée d’Orsay
Ce concert du 13 mars à l’Auditorium du Musée d’Orsay s’inscrivait dans le cadre du cycle Debussy en liberté actuellement proposé par l’institution. L’intérêt principal de l’événement résidait dans le rapprochement esthétique de deux compositeurs disparus en 1918 à quelques jours d’intervalle, Claude Debussy et Lili Boulanger. S’ils ne se sont jamais rencontrés, ils se vouaient une réelle admiration réciproque dont les écrits de Debussy attestent. Tous deux remportèrent le Grand Prix de Rome en composition, passage alors obligé — Lili Boulanger en tant que première femme récompensée, ce à l’âge de 19 ans seulement —, et tous deux vécurent douloureusement leur séjour à la Villa Médicis. Très sensibles l’un comme l’autre à l’œuvre de Maurice Maeterlinck, Lili Boulanger, contrairement à Debussy pour Pelléas et Mélisande, ne parvint pas à concrétiser son projet d’opéra autour de La Princesse Maleine avant que la maladie ne l’emporte à l’âge de 24 ans le 15 mars 1918, il y a donc juste 100 ans ce jour.
Bien entendu, en une heure de musique, il paraît difficile d’aborder l’ensemble des problématiques. Mais le programme élaboré par le trio Georges Sand (Virginie Buscail au piano, Nadine Pierre au violoncelle et Anne-Lise Gastaldi au piano), avec le concours de la soprano Jennifer Tani pour une partie du concert, donne quelques pistes de réflexion. Il a été fort judicieusement élaboré depuis les années de jeunesse et de formation jusqu’à la disparition des deux artistes. La musique de Lili Boulanger apparaît toujours emplie d’une sorte de gravité, voire d’une noirceur un peu désespérée, comme si cette éternelle malade avait quelque part pleinement conscience de la brièveté de son existence. La mélodie "Si tout ceci n’est qu’un rêve" issu du cycle magnifique Clairières dans le ciel, composé entre 1913-1914 sur des poèmes de Francis Jammes, en porte le témoignage, tout comme "Dans l’immense tristesse" daté de 1916. Un extrait de sa cantate du Prix de Rome Faust et Hélène, dans une transcription contemporaine d’Édouard Delale, donne une impression moins tragique, alors que le trio avec piano D’Un matin de printemps pourtant composé en fin de vie, offre une vision presque charmante voire joyeuse.
Des influences communes, du moins des premières années, figurent bien entendu Richard Wagner dont le trio Georges Sand donne "La Mort d’Isolde" dans une transcription fort convaincante d’Alfred Pringsheim, grand admirateur et mécène du Maître de Bayreuth. La mort et la destruction habitent deux mélodies de Claude Debussy : "La mort des amants" extrait des Cinq poèmes de Charles Baudelaire (1887) et le célèbre "Noël des enfants qui n’ont plus de maison" sur un texte du compositeur, imaginé en 1915 face aux horreurs du premier conflit mondial. "Jimbo’s lullaby" extrait des Children’s corner et l’ambitieuse Sonate n° 3 pour violon et piano en sol mineur de 1917, qui marquera la dernière apparition en public de Claude Debussy, viennent compléter un programme un peu austère, mais qui souligne bien le singulier, voire atypique parcours des deux compositeurs.
Le trio Georges Sand fréquente régulièrement cette période de la musique française (il a publié il y a quelques années un CD Debussy/Lili Boulanger chez Integral). Le résultat s’entend au concert par l’implication des interprètes et le soin apporté à l'exécution. La soprano Jennifer Tani convainc beaucoup moins avec une voix qui a tendance à bouger et qui sature à de nombreux endroits. Pour conclure le cycle Debussy en liberté, Stéphanie d’Oustrac se produira à l’Auditorium du Musée d’Orsay le jeudi 22 mars prochain avec François Chaplin et François Salque dans un programme Debussy/Duparc/Fauré et Massenet, suivie d’un grand spécialiste et passionné de Claude Debussy, le pianiste Philippe Cassard, le jeudi 17 mai.