La Bohème par Zeffirelli et Yoncheva au Met, un classique cinématographique
Le public du Metropolitan Opera de New York est absolument réjoui d'assister à une mise en scène classique (à des années-lumière du dernier scandale parisien), au point qu'il applaudit vigoureusement chaque lever de rideau, saluant les décors réalistes qui représentent l'action de manière littérale (avec la neige qui tombe sur les toits de Paris, les couleurs du carnaval pour Parpignol et un impressionnant défilé de soldats en uniformes et grande fanfare).
Le premier et le dernier acte se déroulent sous les combles d'une chaumière perchée dans les hauteurs de la capitale (du drame et de la pauvreté). Cette maquette de maison en coupe, au toit grand ouvert rappelle les décors d'un plateau de cinéma, tout comme de nombreux éléments scénographiques, les mouvements lissés des décors et ceux des nombreux figurants. L'aspect 7ème art de la mise en scène signée Franco Zeffirelli passe ainsi remarquablement sur l'écran de cinéma, retransmis par Met Live et ses caméras mues par des grues, qui composent des ballets de zooms, travelings avant et arrière. Ces effets soutiennent à plusieurs occasions la dramaturgie. Un zoom avant renforce l'amour naissant, montrant en gros plan la clé perdue par Mimi et cachée par Rodolfo. Un zoom arrière en plongée souligne l'isolement de Mimi en train de perdre son amour et sa vie. Des gros plans qui permettent aussi d'admirer de très près les visages des interprètes, rapprochés ainsi des stars de cinéma (à ceci près qu'un chanteur doit donner la priorité à la production du son plutôt qu'au modelé de son faciès).
Sonya Yoncheva est acclamée d'un bout à l'autre de la représentation pour son implication scénique et vocale (à des années-lumière de son unique exécution du rôle cette saison à Paris, où elle n'était pas sur la même planète). Ancrée sur la rondeur de ses graves qu'elle porte jusqu'au medium, la voix s'enrichit des flammèches harmoniques dans l'aigu, comme son personnage s'accroche à la vie. Un défaut peut certes lui être reproché, mais il tient toutefois à un excès de générosité : son ample vibrato qui s’intensifie en fin de phrase s'élargit dans les montées intermédiaires vers l'aigu, au point de s'écarter de la note voulue.
Dans l'émotion contenue et très touchante du poète Rodolfo, Michael Fabiano offre toujours sa voix de ténor doucement pincée, affinée et adoucie en fin de phrase. À l'inverse, au premier acte, s'il contrôle bien ses décrochements vocaux, les élans forte vers l'aigu sont criards. Cela ne gâche nullement ses passages dolcissimo, d'autant qu'il gagne en assurance vocale au fil de la représentation, notamment porté par ses duos avec Yoncheva (avec un gros plan tandis que les flocons tombent sur eux, les transformant en héros d'une boule à neige secouée).
Les autres interprètes offrent des voix bien campées, variant passablement en volume mais toutes portées par un jeu d'acteur investi (une qualité universelle de ce plateau et d'ailleurs une signature des productions du Met). Le peintre Marcello tire son épingle du jeu avec la voix naturellement large et puissante de Lucas Meachem. Un partenaire de tempérament et de choix pour la Musetta assurée de Susanna Phillips, dont la ligne alanguie jaillit soudain vers un aigu puissant. Alexey Lavrov est un Schaunard plus en retrait mais indéniablement équilibré dans le registre de baryton, tandis que le philosophe Colline offre comme souvent l'occasion de briller par son grand air du manteau, un passage bien applaudi car bien rond et processionnaire dans l'interprétation de Matthew Rose. Mais par-dessus tout les comprimari, c'est le vieux gripsou Benoit réclamant son loyer, également interprète du conseiller d'État Alcindoro amoureux victime de Musetta qui réjouit le public, et pour cause, ces deux rôles sont confiés à un monument du Met : Paul Plishka qui fête ses 50 ans avec l'institution lyrique de New York.
L'orchestre et le chef Marco Armiliato semblent avoir fait le choix des tempi les plus lents possibles car la qualité des interprètes le permettait (aussi bien les longueurs des archets que des souffles des vents comme des chanteurs). La captation permet notamment d'apprécier la merveilleuse harpe, qui semble accompagner et colorer tout le drame. Les autres pupitres ne sont pas en reste notamment les vents avec des hautbois pincés et des flûtes s'envolant sur les pizzicati des cordes, après les terribles coups de timbales.
Le drame se referme sur l'efficacité redoutable d'une partition poignante, d'une mise en scène évidente, d'une Sonya Yoncheva livide à la main tremblante et qui semble convoquer le chant baroque de son début de carrière (avec ses phrases entrecoupées par le froid et surtout son inoubliable dernière ligne filée dans un long souffle mourant). Les retransmissions du Met Live permettent notamment de voir l'envers du décor : l'écran diffuse les changements de plateau pendant les entractes, mais aussi les chanteurs qui viennent d'achever leur performance. Le rideau à peine tombé, on peut ainsi voir Fabiano poser affectueusement son menton sur la tête de Yoncheva. Les deux artistes, qui ont jadis partagé leurs débuts à l'Opéra de Paris dans une Lucia d'anthologie, restent encore longuement unis par le drame de Puccini avant d'aller vers les acclamations du public.