Sage ardeur à l’Oratoire du Louvre
Vivaldi, figure dominante du paysage sonore vénitien, est à l’honneur ce soir dans toute sa diversité. Réputé de son vivant pour la virtuosité de son jeu violonistique, sa production instrumentale dont fait partie le Concerto pour cordes RV 117 est féconde. Il compose des cantates, dont Cessate omai cessate, utilisant le même langage musical que dans ses nombreux opéras. La virtuosité y côtoie la beauté mélodique et les récits accompagnés se révèlent d’une modernité affirmée. Rien ne destinait sa musique religieuse, alors musique d’usage, à une grande popularité et le Nisi Dominus s’impose par sa singularité formelle et la puissance de son développement.
La voix féminine (et non de contre-ténor) qui interprète le Nisi Dominus rappelle que cette œuvre fut composée pour l’orphelinat Pio Ospedale della Pietà (Vivaldi en était le maître de musique) et interprétée par les jeunes filles de l’hospice que Vivaldi admirait et dont il connaissait bien les possibilités vocales.
Le Concert Spirituel, dans une formation de chambre dirigée par Olivier Briand, le premier violon, ouvre le programme avec Adagio e spiccato, extrait du Concerto grosso RV 578. Avec ses accords saccadés et haletants cet extrait rappelle l’Air du froid, extrait du King Arthur de Purcell et convient particulièrement à la température de l’édifice, obligeant les instrumentistes à s’accorder très précautionneusement et le public à garder le manteau.
Anthea Pichanick se joint au groupe dans le Nisi dominus, d’un timbre chaud et profond de contralto. La chanteuse est tout d’abord remarquable par son aisance à vocaliser. Son émission est simple, à l’image de sa posture stable très concentrée sur la partition. Elle varie la fréquence de son vibrato en usant d’une voix droite pour faire ressortir les dissonances avec les instrumentistes. Les cordes introduisent le fameux Cum dederit d’un phrasé détaché sur lequel la chanteuse déploie des notes tenues qu’elle semble toutefois peiner à produire sur la longueur, en témoignent ses reprises d’air fréquentes. La langueur du sommeil évoquée dans ce verset par le rythme ternaire de sicilienne est en quelque sorte prise au pied de la lettre par la contralto. Elle reste dans une nuance piano, alors que les instrumentistes intensifient la montée chromatique, et atténue les fins de phrase jusqu’à devenir quasi inaudible. Elle se ressaisit dans le verset suivant Sicut sagittae, les flèches étant illustrées par de brillantes vocalises. Une des originalités de Vivaldi est de commencer le Gloria par un larghetto intimiste, permettant ainsi au premier violon l’expression d’un beau phrasé, alors que traditionnellement l’acclamation et la gloire de Dieu sont exprimées de façon virtuose.
Les sept instrumentistes : deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse et deux théorbes interprètent un Concerto pour ensemble à cordes d'Evaristo Felice Dall’Abaco, compositeur et violoniste vraisemblablement influencé par Vivaldi, ainsi que l’Allegro alla francese du Concerto RV 117 du maître. La formation de chambre très exigeante n’autorise aucun défaut d’attaque et d’ensemble. La cohésion de phrasé, l’équilibre des timbres et la réalisation de nuances subtiles contribuent à effacer les quelques imperfections audibles.
Le prestige musical de Venise attire également de nombreux compositeurs dont Caldara, vénitien de naissance qui termine sa carrière vice-maître de chapelle de la Cour impériale de Vienne. Cette fonction favorisa une production d’œuvres sacrées très importante et des extraits de l’oratorio Maddalena ai piedi di Cristo sont interprétés ce soir. Des personnages tels que l’amour terrestre dialoguent autour de Marie-Madeleine assistant au supplice du Christ. L’intensité musicale et dramatique soutenue entraîne la chanteuse à théâtraliser quelque peu son interprétation en prenant du recul par rapport à la partition et en s’adressant au public plus directement. Ses vocalises percutantes fusent dans « Voi, del tartaro » et « Orribili, terribili ». Ses graves sont produits délicatement, sans effet de poitrine dans l’extatique « In lagrime stemprato ». Cependant l’acoustique de l’Oratoire du Louvre ne permet pas une interprétation trop délicate, le son finissant par s’amenuiser et disparaître en fin de phrase. La contralto surprend dans « Dormi, o cara » en se glissant dans le son des cordes sur une note tenue partant véritablement du silence, mais elle ne parvient pas à intensifier le dramatisme et semble plus à son aise dans la virtuosité.
La cantate de Vivaldi « Cessate, omai cessate », très souvent interprétée par les contre-ténors ou les voix graves féminines, alterne récits et airs, l’un exprimant la douleur de l’amant délaissé et l’autre la colère. Bien qu’Anthea Pichanick, excellemment entourée d’instrumentistes engagés, intensifie son investissement, se permettant quelques gestes expressifs, émettant des sons graves magnifiques, vocalisant parfaitement, le résultat sonore reste contenu, sans grand éclat. Le public applaudit sagement la prestation qui ne génère qu’un seul bis, un air repris de la cantate de Vivaldi.