Rigoletto à Liège, classique mais surprenant
Chef-d’œuvre emblématique du grand Verdi, et qui fait partie de sa « Trilogie Populaire » (avec Le Trouvère et La Traviata), Rigoletto est une sublime composition : rapide, efficace, cruelle et sincère, avec cette merveilleuse complexité musicale et théâtrale apparemment évidente, attendue d’un tel chef-d’œuvre jusqu'aux airs inoubliables. L’Opéra Royal de Wallonie-Liège présente ce grand classique sous une forme des plus classiques. C’est un hommage à Verdi, sa vision et son époque qu'offrent Giampaolo Bisanti à la direction musicale et Stefano Mazzonis di Pralafera à la mise en scène. L’œuvre en trois actes présente ainsi trois tableaux par autant de magnifiques décors faits-mains, en trompe-l’œil : un choix dans la pure tradition des peintures vivantes, avec un amour passionné de l’univers théâtral (comme le confie Stefano Mazzonis di Pralafera, il aime donner au public la même vision que Verdi aurait pu avoir lors de la première de Rigoletto).

Étonnante distribution que celle de ce Rigoletto. Après un premier acte partagé entre le burlesque des foules, de très (très) nombreux figurants, des voix parfois inégales, la représentation trouve un équilibre dans le deuxième et troisième acte. Il faut dire que Rigoletto, librement inspiré du Roi s’amuse de Victor Hugo, est une pièce remarquable de nouveauté lors de sa création. Elle y présente un anti-héros, un bossu, fou du roi, personnage maudit dont l’unique sens vital est tourné vers Gilda, sa jeune fille amoureuse de l’amour même. Cette nouvelle incarnation de l'Humain, trop Humain à l’opéra donne à voir une intensité et une synthèse dramatique rare. En trois actes, les personnages sont approfondis avec une noirceur que le tragique destin n’épargnera pas.

Ironie du sort, Rigoletto tutoie ainsi le sublime dans le tragique. Certaines voix sont dessinées pour le dramatique, et celle du baryton George Petean, l'un des barytons verdiens les plus en vue actuellement, incarne l’anti-héros avec une grâce remarquable. Sa voix d’une belle puissance, tant dans les aigus maîtrisés que dans les graves profonds, dresse un portrait fidèle et marquant du personnage. Sa fille Gilda, figure de grâce et d’innocence, incarnée par la sublime Jessica Nuccio, est d’une fraîcheur à couper le souffle. Par ses aigus clairs, francs, riches en harmoniques, une vraie personnalité vocale se dénote. La soprano italienne sait tenir à elle seule l’auditoire, au service total de l’interprétation.

Ténor indispensable de la pièce, qui répand, comme une traînée de poudre, le malheur chez les femmes qu’il convoite et enflamme, Giuseppe Gipali dans son rôle du Duc de Mantoue étonne par sa voix, claire, légère mais puissante. Une forme délicate et charmeuse, faite de beaux graves qui détonne avec la cruauté et l’égoïsme du personnage.

Heureuse surprise, la voix de basse de Luciano Montanaro en Sparafucile est d’une belle puissance et d’une présence théâtrale naturelle et énergique ! Maddalena, sa jeune sœur, est jouée par Sarah Laulan, grande mezzo lyrique, connue pour son audace et sa liberté d’interprétation. L’auditoire saura trouver en elle une fraîcheur et un jeu vif, à la mesure de ses capacités vocales. À l'inverse, Roger Joakim en Comte de Monterone offre une voix assez terne, qui sera palliée par la fraîcheur d'Alexise Yerna, Comtesse de Ceprano très appréciée du public liégeois.

L’Orchestre et les Chœurs de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège sont emplis de vitalité et atteignent une qualité prestigieuse sous la baguette de Giampaolo Bisanti. Encore une fois, impossible de se défaire du phénomène Rigoletto et de sa « Donna è mobile » !