À l'Opéra de Vichy, l'éclatant récital baroque du contre-ténor Lawrence Zazzo
Avec un programme consacré (notamment) à des airs des deux “ennemis” Haendel et Porpora, l'Opéra de Vichy poursuit son rapprochement avec l'Opéra de Lyon (qui avait déjà donné lieu à un formidable Couronnement de Poppée au printemps dernier).
En guise de savoureuse introduction, le spectacle débute avec le Concerto grosso en ré mineur de Francesco Geminiani (1687-1762), dit “La Follia”, variations de danses baroques inspirées de la sonate op. 5 n°12 d'Arcangelo Corelli. Une oeuvre où de premières variations calmes mais néanmoins emplies de majesté laissent rapidement place à un tempo beaucoup plus allant. À son pupitre (qu'il ne regarde quasiment jamais), le chef Stefano Montanari dirige violon au cou. Boucle à l'oreille, veste ample et pantalon de cuir noir, il déploie une épatante énergie pour entraîner derrière lui l'ensemble de ses musiciens. Aussi bien soliste que chef de pupitre, le maestro a l'art de la communication gestuelle. D'un souffle, d'un mouvement de tête, d'un geste d'épaule, il entraîne avec lui toute la phalange de musiciens dans un même élan de fougue et de générosité. Certes, la justesse de son jeu est quelquefois sacrifiée sur l'autel d'une technicité irréprochable, mais la symbiose du chef avec l'ensemble des pupitres offre un cocktail musical en tous points savoureux.
La soirée est idéalement lancée, et Lawrence Zazzo, costume noir sur chemise mauve, peut entrer en scène. Et il ne lui faut que quelques minutes pour attirer l'entière et exclusive attention du public. Dans l'Air de lamentation “Cosi stanco pellegrino” issu de l'opéra Crispo de Giovanni Bononcini (1670-1747), le contre-tenor américain déploie sans tarder toute la beauté d'une voix suave et délicate. L'intime dialogue noué avec le violoncelle de Valerianne Dubois (Bononcini était lui-même violoncelliste) est délectable à souhait. L'équilibe musical est parfait, et déjà le public est envoûté par la voix de Lawrence Zazzo, dont la projection est encore contenue. Pour mieux exprimer toute sa puissance par la suite ?
Magnifiquement interprété par I Bollenti Spiriti, le Concerto pour violon et orchestre en la majeur de Maddalena Laura Sirmen (1745-1818), aux traits sonores annonçant déjà l'époque classique, redonne l'occasion à Stefano Montanari de se mettre en évidence. Dirigeant de manière toujours aussi communicative, déployant une gestuelle ample, le chef interprète l'oeuvre avec toute la sensibilité requise, notamment dans l'Adagio, où le dialogue avec l'orchestre est exquis. Le Rondo Allegretto est une nouvelle opportunité pour le soliste de faire montre de sa technique et de l'aisance d'un coup d'archet parfaitement harmonisé avec les mouvements de la main gauche. L'Orchestre de l'Opéra national de Lyon se montre lui aussi au diapason, donnant dès le départ la nécessaire impulsion à l'œuvre, même si l'on imagine que la puissance musicale d'ensemble n'est peut-être pas portée à son paroxysme.
Déjà chaleureusement applaudis, à juste titre, le chef et son ensemble le sont plus encore après l'intérprétation de l'ouverture d'Ariodante, d'un Georg Friedrich Haendel (1689-1759) annoncé en vedette de la soirée. Majestueuse, noble, la musique du maître du baroque trouve une parfaite résonance et un cadre idéal dans le magnifique écrin lyrique de la ville thermale. L'orchestre y déploie force et aisance, les pupitres nouant une conversation enchanteresse dont on voudrait qu'elle ne cesse pas.
Mais il est déjà temps pour Lawrence Zazzo de regagner la scène, et ce sans temps-mort. Stefano Montanari vient à peine de baisser ses mains (il dirige sans baguette), que le contreténor accourt littéralement sur scène. Le public comprend alors l'essentiel : Lawrence Zazzo ne compte pas faire que chanter. Il veut jouer, être, incarner. Et comme il le fait magnifiquement ! Les mains ouvertes, le visage rempli d'émotions (et bientôt de perles de sueur, trahissant la mesure de l'investissement), le contreténor campe un Orlando des plus convaincants. Le petit espace qui lui est dévolu devant l'orchestre semble devenir une scène entière, à tel point que le public en vient à oublier qu'il s'agit d'une version de concert. Après le récitatif “Gia per la man d'Orlando”, Lawrence Zazzo déploie dans “Gia l'ebro mi ciglio” une voix lunaire, comme suspendue, trouvant un écho parfait dans le dôme doré de la salle vichyssoise. Son “Ah ! Stigie larve” lui offre de s'exprimer en falsettiste (voix de tête) décomplexé côtoyant le grave avec une projection globale inaltérée et un phrasé irréprochable.
Haendel partageant l'affiche du soir avec Nicola Porpora (1686-1768), la suite du concert convoque sur scène le Polifemo du compositeur napolitain. Après une ouverture pleine là aussi d'une magnificence toute baroque, l'air “Alto Giove” donne une nouvelle occasion à Lawrence Zazzo de déployer toute la brillance de son timbre, avec d'appréciables vibratos, et d'exprimer encore des talents scéniques épatants de naturel et d'authenticité. Il en est de même lorsque Haendel est remis à l'honneur avec l'air “Vivi, tiranno”, extrait de Rodelinda. Le contre-ténor américain y fait toute la démonstration de sa capacité à proposer de délectables et expressives vocalises. Les applaudissements couronnent le tout, le contre-ténor ne pouvant quitter la scène sans offrir un dernier délice vocal.
Celui-ci est interprété en anglais, honneur étant de nouveau fait à Haendel et à son oratorio The Choice of Hercules. « Yet, can I hear that dulcet ley », entonne alors Lawrence Zazzo, finissant de convaincre un public conquis depuis longtemps déjà. Avant que le rideau ne retombe sur scène, une ovation vient saluer la performance du contre-ténor, formidable ambassadeur du baroque.