Les Métaboles dialoguent avec les anges à l’Abbaye de Royaumont
C’est dans cette salle, quoique privée de son public habituel en raison des
restrictions sanitaires, que Léo Warynski a souhaité marquer le lancement du
nouveau CD des Métaboles intitulé The Angels : dans le lieu même où il avait été enregistré il y a un an et demi.
The Angels est un programme dédié à la grande tradition chorale anglaise. Cette pratique pluri-séculaire se perpétue au Royaume-Uni depuis le Haut Moyen-Age jusqu’à nos jours par le biais de grandes institutions religieuses et scolastiques qui font la part belle au chant choral et à ses illustres fondateurs, notamment Byrd et Purcell. Britten et Harvey sont non seulement les héritiers de cette tradition ancienne mais ils revendiquent cette filiation par leur écriture. L’ordre du programme n’est de ce fait pas chronologique mais plutôt conçu pour mettre en lumière les correspondances entre ces compositeurs que des siècles séparent. Par exemple John Harvey compose The Annunciation en reprenant l’introduction du Stabat Mater de Palestrina ou encore façonne son Remember, O Lord dans la même argile que celle que Purcell utilisait quatre siècles plus tôt dans son Remember not, Lord, our offenses.
Toutes les pièces du programme portent une attention particulière au texte sacré et à l’intelligibilité liturgique. Elles procèdent toutes d’un caractère contemplatif dû à leurs tempi plutôt lents parfaitement adapté à l’acoustique du lieu et qui donne à l’ensemble un caractère hypnotique.
À l’origine, Léo Warynski a créé son ensemble Les Métaboles en
2010 pour défendre le répertoire a cappella des
XXe et XXIe siècles. Ce programme concentre donc une grande partie de leur répertoire
de prédilection et met de ce fait en valeur les qualités principales de cet
ensemble : équilibre soigné entre les pupitres, homogénéité des timbres, écoute
très fine des chanteurs entre eux, grande technicité vocale permettant une
justesse irréprochable et des nuances extrêmes. Par exemple dans l’Ave Verum de Byrd chanté à quatre, les pianissimi de plus en plus imperceptibles sur les
mots "O dulcis" sont saisissants. Ou encore la
justesse impeccable dans le Come Holy Ghost de
Harvey permet d’entendre les strates harmoniques complexes et d’aboutir
subitement à des unissons parfaits.
La maitrise des chanteurs de l’ensemble est telle que chaque début de pièce est pris au diapason individuellement sans la moindre émission extérieure de son avec une grande assurance. Chacun des choristes est également apte à assumer des soli. Les suraigus des sopranos exempts de vibrato sonnent très cristallins dans les nuances piano, et parviennent de manière délibérée à un son saturé en harmoniques aigus dans les fortissimi. Les ténors, pour aller dans le sens de l’esthétique prisée par le chef, passent systématiquement en voix mixte dans l’aigu, évitant ainsi soigneusement tout effet opératique. Pour soutenir la richesse harmonique, l’ensemble est pourvu d’un pupitre de basse remarquablement sonore et au focus impressionnant.
Léo Warynski est un chef extrêmement attentif à ses chanteurs :
regard soutenu, prononciation en simultané des paroles, gestique souple et
invitante. Sa démarche esthétique semble favoriser une grande précision
d’émission et de justesse accentuée par une absence quasi-totale de vibrato et
un son particulièrement lisse et homogène. Cette exigence aboutit parfois à un
manque de théâtralité et d’accentuation, notamment dans le Stabat Mater de
Palestrina où la douleur de la Vierge semble très contenue.
Ce concert, à l’heure où tant d’ensembles vocaux sont
contraints au silence, relève presque de l’exploit. Organisé dans un grand
respect des règles sanitaires (tous les chanteurs soigneusement espacés
et préalablement testés), cet évènement
revêt du même coup un caractère aussi exceptionnel que précieux.