Visions poétiques de l'Ensemble Reflets
Les Reflets poétiques de cet album se tissent entre ses deux parties, entre l’époque romantique et un langage plus moderne du début du XXème siècle, un compositeur légendaire et une compositrice trop méconnue.
Pour Franz Liszt, la musique n’imite pas, elle exprime : « Elle est un langage psychologique auquel les habitudes poétiques peuvent seules faire trouver un sens », habitudes qui se retrouvent dans les 3 sonnets de Pétrarque -magnifiques chants d’amour aux modulations et à la richesse de couleurs incroyables-, autant que dans la mélancolique Romance oubliée pour alto, et dans les œuvres exaltantes -tout aussi poétiques- de la trop peu connue Lili Boulanger.
Franz Liszt a laissé plusieurs versions de certaines de ses œuvres, employant un même texte pour des partitions diverses. Pour les sonetti del Petrarca, il en existe de sa main trois versions : deux pour voix et piano et une pour piano intégrée au recueil des Années de pèlerinage. En voici une 4ème inédite que propose la pianiste franco-canadienne Marie-Laure Boulanger : un arrangement pour une formation chambriste constitué d’un alto, d’une flûte, piano et chant.
Cette réécriture apporte ainsi une lecture différente et inhabituelle, par une diversification et des combinaisons de couleurs de timbres contrastés pour conduire le texte davantage vers une mise en valeur de son lyrisme et de son élévation mystique. Ainsi, l’ordre des sonnets diffère-t-il pour conclure par le n°47, le sonnet des bénédictions, et apporter ainsi une cohérence avec la pièce pour piano proposée ensuite « Bénédiction de Dieu dans la solitude ».
Sur le plan de l’interprétation, la soprano Magali Léger combine aisément douceur et intensité. Dénuée d’exaltation excessive (le piège le plus courant dans l’exécution des œuvres de Liszt et du romantisme en général) sa voix claire et réputée légère saisit par la souplesse, la délicatesse, son sens du legato, sa palette de nuances pour transporter l’auditeur dans une musique tantôt dramatique, tantôt méditative, tantôt lyrique. Elle recherche le dialogue de timbres et couleurs avec les instruments. Les contre-chants émergeant de la partie d’alto (confiée à Françoise Douchet) dans le sonnet 104 « pace non trovo » complètent avec subtilité les harmoniques graves qui font défaut à la voix de soprano Léger de la chanteuse et apportent une teinte plus sombre dans cette musique -qui oscille constamment entre tonalités Majeures et mineures. La voix dialogue avec la flûte dans le sonnet 123 « I vidi in terra angelici costumi », et laisse entrevoir par la pureté, le dosage, l’agilité des deux timbres associés les beautés célestes révélées par les yeux à l’amoureux exalté. La mélodie principale témoigne d’une infinie tendresse cédant devant un épisode plus tempétueux pour reparaître afin de laisser entrevoir le triomphe de l’amour mystique détaché de toute entrave terrestre. Les quatre musiciens se retrouvent pour le sonnet 47 « Benedetto sia’l giorno », en parfaite harmonie pour ce poème des bénédictions qui insiste sur le regard par lequel le monde semble renaître.
La chanteuse sait tenir compte des particularités rythmiques et prosodiques de poèmes écrits en toscan ancien (qui diffère légèrement de la langue italienne). La pianiste Marie-Laure Boulanger charme par son jeu sensible et passionné, virtuose comme le requiert l’écriture. Présente tout au long de l’album, elle s’illustre particulièrement dans la très longue pièce pour piano « Bénédiction de Dieu dans la solitude » qui termine cette première partie.
Lili Boulanger, sœur cadette de Nadia, 1ère femme à décrocher le prix de Rome (1913) est fauchée en plein génie cinq ans plus tard à l’âge de 24 ans. Elle n’a laissé que quelques chefs d’œuvres, essentiellement dans le répertoire vocal, pages chorales aux titres tout aussi poétiques qu'évocateurs (Clairières dans le ciel) que les morceaux pour piano ou musique de chambre choisis dans cet album. Son œuvre est majoritairement grave, sombre à l’image de son triste destin mais elle peut faire preuve de douceur et d’espoir.
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Sa musique se singularise par une puissance d’évocation, un sens de la couleur harmonique souvent modale et l’élaboration d’une polyphonie maîtrisée. Ces différents points sont assimilés par la pianiste Marie-Laure Boulanger et le flûtiste Thierry Durand de l’ensemble Reflets auquel s’est jointe la violoncelliste Clara Strauss, notamment pour les deux dernières pièces proposées dans cet album. Peu avant sa mort, Lili Boulanger compose d’un matin de printemps suivi d’un soir triste, deux pièces indissociables. Deux versants psychologiques de la compositrice à l’image du titre d’une de ses mélodies, « elle est gravement gaie ». Ecrites pour piano, flûte ou violon et violoncelle, la première illustre la magie de la nature qui s’éveille. Lili se savait condamnée à court terme. Elle livre dans la seconde pièce une vision triste, funèbre mais où transparaît néanmoins une certaine résignation avant une possible transfiguration lorsqu’apparaît la tonalité Majeure. La conclusion est douloureuse, calme, fataliste.
A travers ces différentes visions poétiques, les musiciens convergent vers un même regard, une même sensibilité, le tout rehaussé par une prise de son présente et proche d’eux, donnant ainsi cohérence à ce programme original.