Christine Dana-Helfrich : la saison 2022/2023 des Invalides « se réfère à l’Histoire »
Christine Dana-Helfrich, quel bilan artistique faites-vous de
cette saison musicale des Invalides 2021/2022 qui s’achève ?
Certains concerts me resteront particulièrement en mémoire de par l’émotion qu’ils ont suscitée, comme la 9e Symphonie de Beethoven avec l’Orchestre de Picardie et l’Orchestre de chambre de Genève, placés sous la direction d’Arie van Beek, avec les Chœurs de chambre de Rouen et de la Sorbonne. L’Hymne à la joie, ce poème An die Freude de Schiller de 1785 traduisant son aspiration à un idéal de fraternité humaine m’est très cher. Nous avons aussi eu le plaisir d’accueillir le violoniste Svetlin Roussev, sublime musicien encore trop peu connu à Paris, qui a subjugué, dans le Concerto n°1 de Prokofiev et dans le Chant de Vladiguerov inspiré du folklore bulgare, non seulement le public mais aussi, ce qui est plus rare encore, tous les musiciens de l’Orchestre de la Garde Républicaine et leur chef François Boulanger, qui vénèrent ce grand violoniste et lui ont réservé une véritable ovation.

Comment avez-vous conçu cette nouvelle saison ?
C’est la 29ème saison, je sens donc approcher un bel anniversaire. Chaque saison est toujours l’occasion de nouveaux défis à relever, avec audace mais non sans humilité. Aucun cycle n’est reconduit à l’identique de saison en saison. La programmation musicale est d’abord élaborée à partir des thématiques des expositions temporaires du Musée de l’Armée, auxquelles nos cycles de concerts viennent faire écho. D’autres thématiques sont imaginées en concertation avec la direction du Musée, demeurant dans le respect de la sensibilité des différents espaces qui tiennent lieu d’écrins à nos concerts (tels la Cathédrale Saint-Louis, le Grand Salon ou la Salle Turenne) et des missions qui nous incombent. Notre démarche se réfère toujours à l’Histoire, suscitant beaucoup de recherches pour élaborer ces cycles. Ces recherches se nourrissent aussi de nombreux et fructueux échanges informels avec mes collègues conservateurs. Je suis heureuse de constater que la plupart des musiciens avec lesquels nous collaborons partagent cette même curiosité en faveur de répertoires et de programmes originaux, résultant souvent de commandes spécifiques. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous tissons, au fil des différentes saisons, des relations privilégiées avec certains d’entre eux.

Avec 37 concerts dont 13 lyriques, vous proposez une programmation riche et variée : qu’avez-vous voulu montrer ?
Les thèmes de cette saison, bien que très contrastés, cohabitent harmonieusement. Nous aurons une thématique autour des commandos à l’occasion des 30 ans de la création du Commandement des opérations spéciales. Nous avons, par ailleurs, considéré que nous n’en avions pas fini avec Napoléon bien que les célébrations du bicentenaire de sa mort se soient officiellement achevées à la fin de l’année 2021, le titre du cycle musical de ce bicentenaire, « Mort et transfiguration impériale », m’ayant inspiré d’autres prolongements. Nous avions aussi inscrit en 2021 une thématique autour des femmes compositrices, que nous avions été contraints de reporter en raison du deuxième confinement et des conditions de programmation très difficiles. J’aurais certes pu maintenir certains concerts en 2021, mais nous avions préféré préserver la cohérence de l’ensemble du cycle : nous le donnerons en mars 2023. Une exposition nous incitera à aborder, au printemps 2023, la difficile mais passionnante thématique des guerres de Religion. Nous aurons bien sûr également un cycle « Jeunes Talents - Premières Armes » avec le Conservatoire de Paris. Nous y inviterons notamment en décembre et en janvier des ensembles à vent du Conservatoire, de haut niveau. Le Conservatoire de Paris a été créé en 1795 pour former les cadres des musiques militaires : les classes d’instruments à vent y prédominaient très largement. Il succédait d’ailleurs à une école de musique militaire révélant bien ainsi sa vocation première. Évidemment, il a perdu depuis longtemps cette spécificité et a rétabli un plus juste équilibre entre ses classes instrumentales, mais la réputation internationale des vents français leur demeure acquise.

Du 15 novembre au 12 décembre, vous
proposerez un cycle baptisé « Forces spéciales » : comment
l’avez-vous pensé ?
J’ai d’abord essayé de m’informer auprès des militaires et de m’imprégner de ce que sont les forces spéciales : leur stratégie, leur mode opératoire, leur rôle en temps de paix ou en temps de guerre, leurs techniques spécifiques, leurs équipements, leur armement. L’exposition ne pourra pas tout révéler car la plupart de ces opérations sont classifiées Secret Défense. Nous organisons un concert très particulier pour célébrer l’anniversaire de la création en 1992 du Commandement des opérations spéciales en évoquant, le 8 décembre, les trois milieux d’évolution des forces spéciales : la Terre, la Mer et l’Air, en hommage à ceux qui ont donné leur vie pour ces missions périlleuses. Nous avons donc rassemblé à cette occasion des formations musicales militaires, telles la Musique des Troupes de Marine pour l’armée de Terre, un ensemble de cuivres et percussions de la Musique de l’Air, le Quintette à vent de la Musique des Équipages de la Flotte de Toulon et, plus original encore, le Bagad de Lann-Bihoué, ensemble se produisant sur cornemuses et bombardes et ne jouant quasiment que du répertoire breton traditionnel, ce qui ne facilite pas son insertion dans un programme. J’ai souhaité les présenter car six des sept commandos de marine sont implantés à Lorient, et aussi parce que la cornemuse est l’emblème des commandos (il y est d’ailleurs fait référence dans le film Le Jour le plus long).
Qu’en est-il des concerts des 5 et 12 décembre ?
Je me suis demandé comment cet esprit des forces spéciales, qui se fonde sur un impact stratégique déterminant produit par un effectif réduit qui œuvre en parfaite synchronisation et complémentarité pour produire un effet fulgurant, pouvait se transposer en musique de chambre. Le Trio Zeliha, avec la jeune violoniste Manon Galy qui vient d’être récemment distinguée comme Révélation instrumentale des Victoires de la Musique Classique, présentera le 5 décembre (avec le Conservatoire de Paris) un programme dédié à Chostakovich, tandis que le Quatuor Parisii et Emmanuelle Bertrand joueront le 12 décembre Schubert et Beethoven : au travers de l’écriture de ces œuvres, l’effet sonore généré provoque effectivement une telle « force de frappe », d’une telle ampleur orchestrale, que cette métaphore pouvait être tentée. Par ailleurs, l’écriture de Beethoven et celle de Schubert, de par leur caractère novateur, ont indéniablement modifié durablement l’histoire de la musique, de la même manière qu’un commando peut infléchir le cours de l’Histoire.
Le 15 novembre sera donné un concert dédié aux musiques de films de guerre : quel en sera le programme ?
Nous y confronterons plusieurs approches et évoquerons les connivences se tissant entre image et illustration sonore, avec l’association d’une œuvre du grand répertoire en quasi-harmonie avec l’image, comme La Marche hongroise de Berlioz dans La Grande vadrouille, ou bien en décalage violent avec celle-ci, comme La Chevauchée des Walkyries de Wagner accompagnant le ballet des hélicoptères dans Apocalypse Now, ou encore en rupture délibérée avec l’image, comme dans Platoon avec l’Adagio de Barber. L’émouvant Concerto de l’Adieu de Delerue, accompagnant le film Dien Biên Phu de Schoendoerffer sera joué également. Geneviève Laurenceau se produira en soliste auprès de l’Orchestre de la Garde Républicaine, dans le Concerto de Barber.
Parallèlement, du 21 novembre au 6 février, vous programmez un autre cycle de six concerts, intitulé « Du Diable boiteux à l’Enchanteur » : quel est le sens de ce titre ?
L’année du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier avait permis de révéler une forme de transfiguration de la personne impériale, ce qui était d’ailleurs le sens de l’exposition et du cycle musical que nous avons présentés au public. La chute de Napoléon en 1815 marque le retour des privilèges d’avant 1789. Le chancelier de l’Empire d’Autriche, le célèbre Metternich, est alors le plus ardent coordinateur de la lutte contre le libéralisme en Europe, qui s’affirme à travers une succession de congrès. La France est représentée par Talleyrand, dit le Diable boiteux, au Congrès de Vienne en 1815, tandis que Chateaubriand, surnommé l’Enchanteur (en référence à son roman Atala), la représente au Congrès de Vérone, en 1822. Or, tous deux ont entretenu des relations houleuses avec Napoléon, et aussi l’un avec l’autre. Nous programmerons ainsi des œuvres ayant été composées entre ces deux dates, avec une pléiade d’artistes émérites, tels Imogen Cooper, Philippe Muller, Paul Meyer, Éric Le sage et François Salque, notamment.
Par ailleurs, lors du Congrès de Vérone en 1822, la répression des insurgés espagnols a été confiée à la France : une expédition a donc été conduite en avril 1823 contre les libéraux espagnols et pour le rétablissement du souverain Ferdinand VII sur son trône, confiée au duc d’Angoulême (neveu de Louis XVIII et fils du futur Charles X), dont le Musée de l’Armée expose la cuirasse et le casque de cuirassier, au sein de ses espaces permanents. Cette expédition constitue une forme de revanche pour la France défaite en 1808, suite à un soulèvement violent de la population espagnole. Il s’agissait de réussir là où Bonaparte avait échoué, selon les mots de Chateaubriand, à l’époque Ministre des Affaires étrangères. En référence à cette expédition espagnole, j’ai souhaité inscrire dans ce cycle musical, en plus d’œuvres faisant référence à Napoléon et à l’année 1822, des œuvres du compositeur espagnol Fernando Sor, lieutenant s’étant rallié à la cause française et installé en France après la défaite de Joseph Bonaparte en Espagne en 1813. Ce grand guitariste fut lors de son exil à Paris l’ami d’Aguado et De Fossa. La classe de guitare de Tristan Manoukian du Conservatoire de Paris leur rendra hommage, le 21 novembre.
L’œuvre du compositeur en résidence Karol Beffa, qui était déjà présent la saison écoulée, sera mise à l’honneur dans quatre concerts : pourquoi avoir prolongé sa résidence ?
Il ne s’agit évidemment pas là d’une véritable résidence : nous ne pouvons pas accueillir les compositeurs mais une sélection de leurs œuvres s’inscrit dans nos programmes. La résidence de Karol Beffa a été prolongée au sein de cette saison en raison du report de certains concerts de ce cycle, programmés dans le cadre du bicentenaire de 2021. Les autres résidences de compositeurs s’inscrivent dans le cadre d’une unique saison.

Vous présenterez également un Cycle « Vents d’Hiver » sur deux dates les 12 décembre et 9 février : comment présenteriez-vous ce cycle ?
Nous avons organisé pendant plusieurs saisons un festival Vents d’Hiver, mais il nous est apparu qu’il ne fallait pas ostraciser les instruments à vent en les programmant de manière distincte, puisqu’ils sont à l’honneur tout au long de nos saisons. Les étudiants du Conservatoire m’ont fait de très jolies propositions, avec l’évocation de l’Harmonie impériale de Vienne pour le 12 décembre. L’Orchestre à vent du Conservatoire de Paris, dirigé par Philippe Ferro qui a une grande expérience des formations d’harmonie, se produira quant à lui le 9 février. Cette programmation s’inscrit au cœur de notre mission car il nous appartient de mettre en valeur les formations musicales de nos armées, mais aussi les instruments privilégiés de ces musiques que sont les instruments à vent, ainsi que leurs répertoires que nous nous attachons à développer. Un cabinet de musique militaire présente d’ailleurs une belle sélection de nos instruments de musique militaire les plus rares, au sein des parcours permanents du Musée. L’accent y est mis sur la réforme des musiques militaires, entreprise autour des années 1845, avec le concours d’Adolphe Sax. Nous avons bénéficié, dans cette démarche, du précieux soutien du musée de la Musique, qui nous a consenti le dépôt d’instruments notamment conçus par le génial facteur belge et appartenant à ses propres collections.
En mars, Édith Canat de Chizy sera mise à l’honneur, à travers un cycle « Femmes compositrices, une plume pour seule arme » comportant huit concerts : d’où vous est venue l’idée de ce cycle ?
« Une plume pour seule arme » fait référence au XVIIe siècle : celui du Seicento italien. Si Lazzaro Agostino Cotta comparait le talent pour la composition d’Isabella Leonarda aux prouesses militaires de l’Empereur Leopold Ier de Habsbourg, la compositrice Barbara Strozzi, quant à elle, rivalisait par sa plume avec le sabre des plus vaillants guerriers. Ces deux compositrices et d’autres encore seront au programme du concert offert par Le Consort de Justin Taylor avec Eva Zaïcik.
J’ai fait la connaissance d’Édith Canat de Chizy lorsqu’elle était directrice du Conservatoire du VIIe arrondissement de Paris. Je l’ai invitée et nous avons programmé un certain nombre de concerts ensemble, intégrant notamment ses propres œuvres. J’ai ainsi découvert sa musique. En conversant avec elle, j’ai conçu une profonde admiration pour son approche aussi intègre qu’exigeante : elle préfère être appelée « compositeur » plutôt que « compositrice », considérant que composer est une fonction et que le genre neutre conviendrait donc mieux. Disciple d’Ivo Malec et de Maurice Ohana, elle est membre de l’Institut de France.
L’idée de ce cycle découle de plusieurs lectures et interrogations. D’abord cette confidence de Franz Liszt à Marie Jaëll : « un nom d’homme sur votre musique et vos partitions seraient sur tous les claviers ». Felix Mendelssohn, le frère adoré de Fanny, refuse que les œuvres de sa sœur soient éditées sous son propre nom, réservant leur audition à la sphère familiale, à l’inverse des œuvres de Louise Farrenc, publiées par son mari éditeur de musique (nous avons d’ailleurs programmé récemment sa 3e Symphonie qui est extrêmement affirmée, de style et de personnalité). Robert Schumann, quant à lui, accole leurs deux noms juxtaposés sur les compositions de sa femme Clara, également pianiste virtuose et concertiste internationale. Un patronyme commun prive donc inéluctablement la plupart des compositrices de toute reconnaissance personnelle, les convenances de l’époque ne permettant pas aux femmes d’inscrire la création et l’interprétation de leurs œuvres hors du cercle amical ou familial restreint. Et que penser de cette lettre de Gustav Mahler, en adoration devant sa jeune fiancée Alma Schindler, mais la mettant néanmoins en garde en ces termes : « Comment te représentes-tu un tel mélange de compositeurs ? T’imagines-tu à quel point une rivalité si étrange deviendra nécessairement ridicule ? Crois-tu devoir renoncer à un grand moment de ton existence dont tu ne pourrais te passer si tu abandonnes complètement ta musique, afin de posséder la mienne et aussi d’être mienne ? ».
Par ailleurs, la pratique des instruments à vent (à part la flûte, jugée plus féminine) était pratiquement interdite aux femmes jusqu’au début du XXe siècle car il était considéré comme peu convenable de pratiquer des instruments déformant ou empourprant le visage. Mais, j’ai découvert aussi que Mozart, Stravinski ou Bartok avaient confié à la clarinette le rôle d’une voix de femme : j’ai donc exploré ce caractère féminin de l’instrument, Berlioz déclarant que la clarinette était la plus belle femme de l’orchestre. La clarinettiste israélienne Sharon Kam en sera l’incarnation, auprès de la Musique de l’Air.
Comment avez-vous choisi les œuvres d’Édith Canat de Chizy que vous présenterez ?
La compositrice n’est pas intervenue dans la programmation, si ce n’est pour l’insertion de son œuvre Sailing, co-commande de Radio France et du Musée de l’Armée, dédiée à la pianiste Dana Ciocarlie. J’ai fait en sorte de programmer ses œuvres dans la plupart des concerts du cycle, sauf dans les programmes de musique ancienne, car elle n’a pas composé d’œuvres s’inscrivant dans cette sensibilité.
Dans le cadre de ce cycle, vous présenterez le 2 mars un concert associant Claire Lefilliâtre et Marie Perbost : à quoi ce concert ressemblera-t-il ?
Le programme devait initialement mettre en scène la rivalité entre deux cantatrices italiennes, mais ce duel s’intégrera mieux dans la thématique du printemps 2024, qui est précisément celle du duel. J’ai donc proposé un autre thème aux mêmes artistes, autour de la claveciniste et compositrice Élisabeth Jacquet de La Guerre. Stéphane Fuget, qui dirigera le concert, m’a alors fait découvrir Antonia Bembo, que je ne connaissais absolument pas, et qui est originaire de Venise, arrivée en France en 1675, au moment de la construction des Invalides. Fuyant un mari violent et se retrouvant seule pour élever ses jeunes enfants, elle a été remarquée par Louis XIV qui lui a octroyé une pension à vie lui permettant de se consacrer à la composition. Pour remercier le Roi, elle a rassemblé six livres de musique manuscrite qu’elle lui a dédiés. Elle a elle-même composé une cantate dédicacée à Louis XIV. Claire Lefilliâtre et Marie Perbost restent donc programmées au sein de ce nouveau programme, pour rendre hommage à ces deux grandes compositrices du Grand Siècle.
Pourquoi avoir choisi la Compagnie lyrique Les Épopées pour accompagner ce concert ?
J’avais invité Claire Lefilliâtre il y a quelques années et souhaitais ardemment prolonger notre collaboration avec cette artiste magnifique. Je ne connaissais alors Stéphane Fuget que de par les responsabilités qu’il exerce au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris. En conversant avec lui, j’ai trouvé sa démarche passionnante et son ensemble Les Épopées fort séduisant.
Le 20 mars, Marie-Laure Garnier et Tristan Raës investiront le Grand Salon : comment ce programme a-t-il été conçu ?
Marie-Laure Garnier est une artiste absolument sublime, une étoile montante, qui aborde avec autant de talent le registre de l’opéra que celui de la mélodie. Je l’ai découverte il y a quelques années au sein du cycle Jeunes Talents - Premières Armes avec le Conservatoire de Paris, où elle se trouvait en classe de perfectionnement. J’ai été profondément heureuse pour elle, lorsqu’elle a été nommée Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique en 2021. Mais hélas, du fait du reconfinement, le Concert des Révélations s’est déroulé à huis clos, ce qui était très frustrant pour elle ainsi que pour ses camarades. Il me tenait d’autant plus à cœur de la programmer avec Tristan Raës, au sein de notre saison. Ils apporteront des éclairages originaux sur cette thématique. Entre Fanny Mendelssohn et Clara Schumann, ils ont choisi d’inscrire des mélodies de Mel Bonis, Pauline Viardot et Alma Mahler ainsi que des sœurs Nadia et Lili Boulanger. D’Édith Canat de Chizy, ils donneront une œuvre déchirante, El Grito : un cri en hommage au poète Federico García Lorca, assassiné lors de la guerre d’Espagne.

C’est un autre duo que vous invitez le 30 mars : Eva Zaïcik et Justin Taylor, pour une programmation qui mêlera des compositrices avec Bach et Vivaldi : pourquoi ce choix ?
Initialement, nous n’avions programmé en 2021 que des compositrices, en référence à leur enregistrement discographique « Elles ». Entre- temps, ce concert ayant été reporté, le Consort a réalisé un autre enregistrement avec des œuvres de Bach, Reali et Vivaldi : nous en avons ajouté quelques pages instrumentales en intermèdes, permettant à la voix de se reposer.
La suite de la saison sera notamment marquée par un cycle de six concerts appelé « L’Homme et le Sacré » : pourquoi ce thème ?
L’exposition du printemps 2023 du Musée de l’Armée aura pour thème les guerres de Religion. Toutefois, nos cycles n’ont pas vocation à illustrer musicalement les expositions mais plutôt à y faire librement écho. Ainsi avons-nous fait le choix avec la Directrice adjointe du Musée de l'Armée, Ariane James-Sarazin, d’élargir le prisme de cette thématique. Sur les sept concerts de ce cycle, deux font explicitement référence aux affrontements liés aux guerres de Religion : Papegots et Huguenots le 5 juin avec l’Ensemble Clément Janequin, et Du temple à la ville le 12 juin avec l’Ensemble La Rêveuse et Benjamin Lazar. Ces deux programmes nous semblaient difficiles à inscrire dans la Cathédrale Saint-Louis, tant les textes lus ou chantés, se fondant sur une poésie hautement dénonciatrice, sont violents : nous avons donc décidé de les déplacer en la salle Turenne. Ainsi, nous ne nous interdisons rien, mais cherchons toujours à recontextualiser notre programmation, afin d’en faire apparaître le bien-fondé et de l’inscrire dans le cadre adéquat. Les cinq autres concerts aborderont ce thème de manière moins frontale et plus distanciée.

Le 13 avril, vous présenterez dans le cadre de ce cycle le Stabat mater de Pergolèse, les Symphoniae sacrae de Schütz et une Cantate de Bach : comment avez-vous constitué cet assemblage ?
Il nous importait de satisfaire et de séduire un public plus large. Lors d’échanges avec Daniel Cuiller, le fondateur de l’Ensemble Stradivaria, nous avons souhaité confronter Heinrich Schütz avec ses Symphonies sacrées d’une certaine austérité, pleines de grâce il est vrai, et le Stabat Mater beaucoup plus exubérant de Pergolèse, exaltant sa foi catholique. Entre les deux, il nous a paru intéressant d’introduire Bach, qui doit tant à Luther, avec cette Cantate dédiée à la gloire du Très Haut.
Le 11 mai sera donné un concert Poulenc et Thierry Escaich : quel est le concept de ce concert interprété par l’Orchestre et le Chœur de Paris Sciences et Lettres ?
Le choix de Poulenc est personnel : c’est sa foi qui m’a semblé émouvante, car profondément sincère. Il a renoué avec la foi de son enfance à la suite du traumatisme qu’a été pour lui la mort de son ami Pierre-Octave Ferroud, dans un accident de voiture, en 1936. Il est allé se recueillir à Rocamadour et sa foi s’est trouvée ravivée aux abords de ce sanctuaire de la Vierge noire, lui inspirant ses Litanies à la Vierge noire qui sont si belles et d’un dépouillement liturgique extraordinaire. Elles seront confrontées à son Gloria, qui suscita cette confidence d’une simplicité bouleversante : « Je suis catholique, c’est ma plus grande liberté ». C’est la démarche d’un compositeur habité par sa foi. Thierry Escaich a accepté de jouer ce magnifique Concerto pour orgue, avec les jeunes de l’Orchestre et du Chœur des Universités et Grandes Écoles de Paris Sciences et Lettres, constitués par des étudiants auxquels se joignent quelques professionnels, en tête de pupitres. Il m’a semblé que la ferveur du Gloria serait très bien restituée par ces jeunes musiciens qui donnent le meilleur d'eux-mêmes, sous l’impulsion de leurs chefs Johan Farjot et Julien Rézak.
Troisième compositeur en résidence, Kryštof Mařatka présentera Luminarium le 23 mai : pourquoi ce choix ?
Je tiens à mentionner d’abord la prestation du magnifique Chœur de l’Armée Française en ouverture de ce programme, dont la cheffe adjointe Émilie Fleury a souhaité présenter, auprès d’œuvres de Josquin des Prés et Palestrina, des extraits des Octonaires de la vanité du monde de Paschal de L'Estocart, dont l’Ensemble La Rêveuse donnera aussi d’autres passages. Je connais Kryštof Mařatka depuis longtemps, ayant fait d’abord sa connaissance par l’intermédiaire de son épouse, l’altiste Karine Lethiec, dont j’ai souvent accueilli l’Ensemble Calliopée, et qui a notamment inscrit à son programme des œuvres de Kryštof Mařatka. L’une de ses œuvres a notamment attiré mon attention : Luminarium, composée de 27 fragments de musique du monde, qui est une approche des rites et des croyances à travers le monde. Le compositeur tchèque s’est attaché à recueillir les musiques accompagnant ces rites, pour s’en imprégner et les restituer au sein de cette œuvre, qui constitue une forme de puzzle se faisant l’écho fidèle de ces mélodies issues de différents continents.
C’est une œuvre profondément poétique qui sera donnée avec le concours d’un clarinettiste israélien, Chen Halevi. J’ai aussi souhaité que l’Orchestre de la Garde Républicaine inscrive au programme la première musique de film de l’histoire, L’Assassinat du duc de Guise, composée par Saint-Saëns, pour illustrer un film muet, évoquant cet épisode historique et tragique, survenu en 1588.
L’Orchestre de la Garde Républicaine reviendra le 1er juin
pour présenter Fragments de Marc-Olivier Dupin,
quatrième et dernier compositeur en résidence : pourquoi ce
choix ?
J’ai connu Marc-Olivier Dupin, lorsqu’il était Directeur du Conservatoire de Paris, au moment même où je prenais mes fonctions aux Invalides, et nous avons immédiatement mis en œuvre le partenariat qui nous lie encore aujourd’hui autour du cycle « Jeunes Talents - Premières Armes » avec cet établissement supérieur. En l’occurrence, il avait pour projet d’écrire une œuvre revêtant la forme d’un mélodrame avec un récitant et pour orchestre d’instruments à vent. Comme il connaît bien le chef de la Garde Républicaine François Boulanger, ce projet a été conçu spécialement pour l’orchestre d’harmonie de la Garde républicaine et Marc-Olivier Dupin a choisi de fonder son mélodrame sur La Légende des Siècles de Victor Hugo. En m’immergeant dans cette œuvre monumentale, il m’a semblé que cette démarche faisait singulièrement écho à l’approche que nous voulions présenter du rapport de l’Homme à l’univers et au Sacré. Il n’est certes pas question que du divin dans l’œuvre de Victor Hugo, mais c’est une œuvre qui transcende véritablement l’humain. Le mélodrame de Marc-Olivier Dupin sera donné en création mondiale, le 1er juin, en la cathédrale.
Le 5 juin aura lieu le concert Papegots et Huguenots, que vous citiez précédemment : comment présenteriez-vous ce concert ?
Dominique Visse et l’Ensemble Clément Janequin sont très familiers de ce répertoire, au sein duquel la verve et la truculence qu’on leur connaît feront merveille, dans l’illustration de cette thématique. Je leur ai en particulier demandé d’inscrire le célèbre Psaume des batailles dans ce programme. C’est un psaume qui a d’abord été composé avec un texte latin, puis a été mis en vers par Clément Marot et harmonisé par Claude Goudimel. Il est devenu l’hymne des Protestants et le chant de guerre et de ralliement des Huguenots. Pour preuve des correspondances qui se tissent entre nos concerts et l’exposition, ses commissaires ont souhaité faire entendre cet Hymne des batailles au sein même du parcours de l’exposition, par le biais d’un enregistrement.
Enfin, le 12 juin, le cycle se refermera avec un concert Du temple à la ville par l’Ensemble La Rêveuse dirigé par Benjamin Perrot et Florence Bolton, avec Benjamin Lazar en récitant et Eugénie Lefebvre, Paul Figuier, Paco Garcia, Vincent Bouchot et Lucas Bacro pour les parties chantées : qu’attendez-vous de ce concert ?
La pratique religieuse chez les Protestants intervenait notamment dans le cadre intime des ateliers, du foyer : Florence Bolton m’a fait valoir qu’il serait intéressant de révéler ce répertoire et comment ces œuvres étaient données dans un cercle privé. J’ai, pour ma part, souhaité donner une grande dimension au Verbe, car le Verbe, fréquemment, précède le pamphlet. Il apparaît comme un moyen de combat, une arme à part entière, frappant fort et atteignant sa cible. Je me suis intéressée à la juxtaposition du texte et de la musique car la poésie, à cette période, est considérée comme supérieure à la musique, la parole poétique parlant à l’oreille et à l’esprit (alors que la musique s’adresse aux sens). Son origine est dans la musique de l’esprit divin qui, par son effet, peut mener l’écoutant droit à Dieu. La poésie diffamatoire et dénonciatrice est extrêmement puissante à cette époque : j’ai demandé à Florence Bolton et Benjamin Lazar de mettre à l’honneur Clément Marot qui a dû abjurer sa foi protestante, ou encore Pierre de Ronsard qui n’est pas seulement le poète de l’amour mais aussi un fervent Catholique ayant produit des écrits extrêmement virulents (dans son Discours sur la Misère de son Temps), ou enfin la personnalité très emblématique de Théodore Agrippa d'Aubigné, aussi à l’aise sur les champs de bataille qu’à son écritoire : il a été à la fois le conseiller fidèle et le compagnon d’armes du jeune roi de Navarre, le futur Henri IV, mais il a gardé sa foi protestante après la conversion d’Henri IV au catholicisme. Alliant brillamment la plume et l’épée, il s’illustra en tant que chef de guerre, mais il est aussi l’un des plus grands poètes de son temps, décrivant dans ses Tragiques (de 1616) l’horreur insoutenable des guerres de Religion, un ouvrage brûlant et insolent où transparaît la haine, et dont Benjamin Lazar nous livrera des extraits. Ce sera puissant, certes un peu violent, mais adouci par la musique qui s’enchâssera entre les textes.
Votre partenariat avec le CIC donne lieu à un cycle spécifique de 10 concerts sur l’ensemble de la saison : comment présenteriez-vous ce partenariat ?
Le CIC est le grand partenaire du Musée de l’Armée depuis 2003 : il participe notamment à des actions patrimoniales en faveur de la conservation et de la restauration de l’édifice des Invalides. C’est un mécénat considérable et dont le soutien est déterminant, accompagnant la politique culturelle du Musée. Le CIC ne porte aucun regard sur la gestation de notre programmation dont je ne m’entretiens qu’avec les instances du Musée de l’Armée, nos thématiques étant spécifiquement en lien avec les commémorations historico-militaires et avec nos thématiques d’expositions. Mais il apporte aussi un important soutien aux expositions temporaires du Musée de l’Armée.
Le CIC étant le partenaire financier exclusif des Victoires de la Musique Classique, il couronne à ce titre un certain nombre d’artistes fort talentueux que nous avons plaisir à accueillir ensuite, dans le cycle de dix concerts qu’il produit et finance, au sein de notre saison. Il organise notamment le concert inaugural du 11 octobre, lors duquel la Petite Messe Solennelle de Rossini sera donnée, avec le Chœur régional Vittoria d’Île-de-France et l’Orchestre symphonique de Munich, dirigés par Lucie Leguay. Le duel entre Jean-François Zygel et André Manoukian du 8 juin préfigure, quant à lui, le cycle que nous présenterons au printemps 2024, avec tous les duos, les duels et les joutes que nous venons d’ores et déjà de concevoir pour la saison 2023/2024 en écho, Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris oblige, à une future exposition au printemps et à l’été 2024 sur la thématique du duel. Le concert des Révélations 2023, qui auront été primées lors des prochaines Victoires de la Musique, aura lieu le 15 juin.
Dans le cadre de ce cycle, Roberto Alagna, Aleksandra Kurzak et Andreas Scholl interprèteront le 17 novembre le Stabat Mater d’Arvo Pärt avec le Vienna Morphing Orchestra : qu’attendez-vous de ce concert étonnant et détonant ?
Durant cette saison 2022/2023, le CIC nous propose, avec le concours des deux programmateurs de ce cycle, Jean-Hugues Allard et Nicolas Bartholomée (par ailleurs Directeur du label Aparté), des programmes particulièrement originaux, avec des artistes de très grande notoriété internationale. Ces très grands artistes lyriques aux voix d’or aborderont cette œuvre très méditative et lumineuse en y insufflant certainement toute leur ferveur. C’est la première fois que nous les programmons et ce concert sera indéniablement l’un des temps forts de cette nouvelle saison.
Le 15 décembre sera proposée une Soirée opéra en hommage à Maria Callas avec Cristina Pasaroiu et Kévin Amiel : qu’en attendez-vous ?
Il y aura certainement une très grande émotion et un profond recueillement ce soir-là au travers de la réincarnation par l’excellente Cristina Pasaroiu de cette si grande artiste, devenue une véritable légende de l’art lyrique à travers le monde entier. Olivier Bellamy, avec lequel nous avons tissé des liens, de par notre partenariat avec Radio Classique, en sera le récitant. Maria Callas est unique. Son parcours relève d’une forme de sacerdoce et la fin de sa vie d’un chemin de croix. L’inscription de cette évocation au sein de la Cathédrale Saint-Louis des Invalides permettra d’y ajouter une dimension supplémentaire : celle d’une prière, tant l’art de La Callas confinait au divin.
Vous citez votre partenariat avec Radio Classique : quel est son périmètre ?
Radio Classique capte les 10 concerts programmés par le CIC, qui font ensuite l’objet d’une diffusion en direct ou d’une retransmission en différé sur son antenne. Nous bénéficions ainsi de l’écoute assidue de tous les fervents mélomanes de Radio Classique, ce qui confère à notre programmation un rayonnement bien plus large encore.
Le 9 mars, vous retrouverez le Requiem de Mozart (déjà programmé cette saison) avec les solistes, le Chœur et l’Orchestre des Petites Mains Symphoniques : qui sont-ils ?
C’est encore une fort belle initiative de Jean-Hugues Allard. J’ai déjà fait appel à ces Petites Mains : il s’agissait alors d’un orchestre de jeunes tubistes, et j’avais été bouleversée par l’interprétation si engagée de ces enfants et leur approche si naturelle de la musique, qu’ils s’appropriaient avec beaucoup d’enthousiasme et de sérieux aussi. Leur démarche est profondément sincère et leur interprétation sera sans nul doute empreinte d’une grande ferveur et d’une grande élévation.