Grèves à l'Opéra de Paris : les revendications et l'organisation du mouvement syndical
La réforme des retraites du gouvernement vise à uniformiser les régimes en termes de cotisations, de pensions et d'âge de départ. Les syndicats du théâtre vivant soulignent cependant que les forces de police -par exemple et entre autres- en seront dispensés. Actuellement, comme un militaire, un danseur du Ballet à l'Opéra de Paris peut toucher une retraite anticipée, mais cela revient aussi, selon l'expression des représentants du personnel, à renvoyer les danseurs dès 42 ans avec une pension qui dépasse à peine les 1.000 euros pour la majorité du corps de ballet.
Les syndicats soulignent également des injonctions paradoxales, pour les danseurs comme pour les choristes (qui partaient à 50 ans) : sur le plan artistique à partir d'un certain âge, ils sont considérés comme trop vieux pour correctement pratiquer leur art (ils souffrent de nombreux soucis physiques, de fatigue dans le soutien musculaire et le tonus, corporel et vocal) mais sur le plan comptable ils devraient travailler plus longtemps encore.
Les personnels à l'Opéra national de Paris ont factuellement un "régime spécial" (et ce depuis depuis Louis XIV), plus avantageux que leurs collègues ailleurs. Les syndicats répondent à ce point en deux arguments : refusant un nivellement généralisé par le bas, et élargissant eux-même la question à tous les personnels artistiques, concernés par le Ministère de la Culture, et autres. Ils avancent ainsi des propositions pour tenir compte de l'évolution des carrières, des métiers, de la pénibilité et posent ces questions aussi bien pour les artistes à l'Opéra de Paris, que dans les autres opéras nationaux ou régionaux, mais aussi pour tous les danseurs, qu'ils soient salariés ou non. "Pour revenir sur cet exemple du danseur retraité à 42 ans, tous ne peuvent pas rester dans l'institution jusqu'à l'âge pivot, il n'y a pas autant de professeurs au Ballet de Paris que d'étudiants et danseurs. Il faut donc une aide à la reconversion et cette première retraite sert à cela", explique le représentant d'un syndicat majoritaire.
Les personnels rappellent également que le contrat de travail qu'ils ont signé les engage mais engage aussi leur employeur, l'État : ils ont accepté de travailler jours, soirs, nuits, week-end, vacances et fêtes avec des changements de calendrier et des plannings compliqués en échange de ce statut. Or la réforme revient, selon eux, à rompre le contrat sans augmenter les salaires.
Le Ministre de la Culture, Franck Riester confirme que le principe du système universel que souhaite le Gouvernement implique effectivement la suppression des régimes spéciaux, mais si le Ministre ne souhaite pas voir des danseurs "de 50 ans", il ne souhaite pas non plus un départ à la retraite à 42 ans. Le Ministère explique donc mener des réflexions sur les reconversions, la prise en compte de la pénibilité, ce qui concerne également les artistes et les techniciens. Le cabinet du Ministère nous indique également que les concertations avec les représentants des personnels de l'Opéra et de la Comédie-Française "s'intensifient : des réunions se tiennent aujourd'hui même." Des concertations qui, pour la représentation syndicale se résument à un "travail sur les critères de pénibilité (Opéra et Comédie-Française) : c'est un peu faible !", dixit. Les syndicats réclament une étude d'impact concrète pour savoir très précisément qui est touché et comment la réforme va s'appliquer, "plutôt que des grands effets d'annonce vantant une réforme merveilleuse."
D'autant qu'une autre source d'inquiétude majeure est soulevée par les syndicats, qui insistent beaucoup sur ce point, moins connu du public que la question sur l'âge de départ à la retraite. Il s'agit des grandes inquiétudes budgétaires que la réforme ferait poser sur les établissements culturels avec les nouveaux droits accordés. Toute une série de créateurs, artistes, rédacteurs rémunérés pour leurs productions intellectuelles et qui n'ont pas aujourd'hui de cotisation patronale (suivant la loi de 1975), gagneraient demain des points dans le nouveau système universel. La conséquence directe serait donc de multiplier par trois leurs cotisations, de diviser par trois les pensions auxquelles ils auraient pu prétendre dans le nouveau système, ou bien de financer leurs nouveaux droits, ce qui représenterait par exemple 350 millions d'euros par an pour les auteurs. Il est donc question que Bercy abonde à hauteur de cette somme, mais pour les autres ressources, les syndicats craignent fortement que soient réinstaurés 110 millions d'abattement sur les statuts d'intermittent, et que l'argent pour les nouveaux droits des journalistes pigistes soit pris dans les aides à la presse. Idem pour les architectes des monuments historiques.
À l'Opéra de Paris et à la Comédie française, c'est l'État l'employeur donc qu'il s'agisse d'une subvention du Ministère de la Culture à la Caisse de l'Opéra/Comédie ou bien d'une augmentation de cotisation pour ces établissements, le coût revient au même s'il reste dans le giron des affaires culturelles et non pas sur le budget général des dépenses sociales. Le fait de faire peser une même somme sur le Ministère de la Culture ou sur les dépenses sociales du budget de l'État peut sembler un détail dans le choix d'une ligne budgétaire mais il aura au contraire des conséquences très lourdes sur les budget des institutions culturelles.
Les syndicats s'inquiètent d'autant plus que lors de la seule réunion paritaire (nous disent-ils) avec le Ministre et Jean-Paul Delevoye (haut-commissaire aux retraites, démissionnaire depuis), le Ministre Franck Riester avait exprimé son refus de voir ces dépenses prises en charge par le Ministère de la Culture, un arbitrage qu'il aurait ensuite perdu, toujours selon les syndicats. Le Ministère, dans les réponses qu'ils nous a adressées, n'a pas encore répondu sur ce point.
"La logique sera qu'on demande aux institutions culturelles de faire des arbitrages entre ces surcoûts liés aux retraites et les budgets de création et fonctionnement" s'inquiète le syndicat qui décrit le Ministère de la Culture comme le "royaume de la précarité et du peu d'empressement à étudier les évolutions de carrière dans les établissements qui en dépendent." Selon le syndicat toujours, le Ministère n'a pas anticipé cette réforme malgré des alertes lancées depuis très longtemps : soulevant les problèmes qui se poseraient entre les questions liées aux auteurs, intermittents, régimes spéciaux, pénibilité et changements considérables d'âge, de pensions, de cotisations, le tout avec la précarité de tous les personnels intermittents.
Toutes ces revendications servent aux syndicats à justifier l’organisation de leur mouvement de grève et à assumer les deux points les plus polémiques : le fait qu'ils annulent les spectacles volontairement le jour même et que les personnels s'organisent et se relayent dans leurs retraits pour se répartir les pertes de salaires. "Se déclarer gréviste le jour même, quelques heures avant le spectacle est évidemment gênant pour les spectateurs mais ils sont remboursés de leurs billets et si nous regrettons les désagréments, ceux-ci seront bien plus lourds, pour tout le monde en arrivant à la retraite. Le droit de grève, même dans ces modalité d'action, est constitutionnel."