Les Mozart de l’Opéra 2016-2017 : Palmarès et Concert prometteurs
La compétition est introduite par Pierre Vernes et présentée par l'incontournable Roselyne Bachelot. Maîtresse de cérémonie, elle lit attentivement ses fiches lors de ses trois apparitions qui entrecoupent la soirée. L'ancienne ministre donne ainsi le contexte des airs qu'elle introduit : "La musique est belle et cela nous suffira". En fin de soirée, elle invite le public à sortir son téléphone portable et lui explique comment envoyer un sms pour voter pour le prix du public. Jean-Romain Vesperini est chargé de la mise en scène. Son travail s'incarne en quelques accessoires (une chaise qui devient tabouret, un plumeau, un collier, un polaroïd), ainsi qu'une succession d'images projetées sur le rideau en fond de scène : le château de Cendrillon, un globe terrestre, une terrasse bleutée, la pleine lune, un croissant de lune, le soleil, des pieux acérés, des fenêtres sombres puis écarlates, des pissenlits, le tout nimbé de nuages, brume et fumée. À quelques rares fausses notes près et des ralentissements inopinés qui exigent un placement rythmique remarquable des chanteurs, l'Orchestre Prométhée dirigé par Pierre-Michel Durand accompagne avec justesse les tempéraments des airs, offrant de surcroît des timbres francs et bien mariés entre eux.
Le plateau vocal présente au public neuf candidats prometteurs, interprétant chacun un air et un ensemble. On ne pourrait plus considérer ces artistes comme de jeunes débutants (âgés de 28 ans de moyenne, ils ont déjà tenu des rôles, souvent seconds dans des opéras régionaux, mais parfois de premier plan sur des scènes capitales). L'enjeu de ce concert compétitif est donc une reconnaissance confirmant, plus qu'initiant une carrière. Les amateurs d'opéra sont bien entendus ravis de découvrir ces artistes et d'entendre des airs de Mozart et Rossini. Toutefois, ces deux compositeurs occupent chacun un tiers du programme et il ne reste donc que cinq autres créateurs avec un air chacun : Bellini, Donizetti, Verdi, Bizet et Rachmaninov. Le public se contente donc d'un seul air français (auquel on peut certes ajouter l'air du Comte Ory, opéra en français de Rossini) et un seul opéra hors du bel canto.
La mezzo-soprano Ambroisine Bré sort triomphante de la soirée (vous pouvez d'ores et déjà réserver ici vos places pour l'entendre lors du Concert des Révélations Classiques de l'Adami cet été à Orange), cumulant toutes les récompenses possibles : Premier Prix du Jury, Prix Deutsche Grammophon (un imposant coffret de 200 disques Mozart, visiblement lourd de génie et à soulever), le Prix Opera Musica et le Prix féminin du public, n'en jetez plus ! La seule interprète française aura donc convaincu avec sa voix sonore, bien qu'elle saute parfois dans l'aigu. Couverte depuis le grave jusqu'au bas du médium, elle a trouvé une résonance buccale pour le reste du médium et faciale dans les aigus sonores qui se marient avec une belle présence scénique (notamment en Roméo amoureux de Juliette/Beate Mordal). Dans son air solo "Dolce d'amor compagna speranza" (extrait de La fausse Jardinière de Mozart), elle investit l'espace d'une marche noble et sentimentale.
Parmi les autres artistes, plusieurs sont à suivre attentivement (ce que vous permet Ôlyrix : il vous suffit de cliquer sur leur nom ou bien d'entrer leur patronyme dans le moteur de recherche, puis de cliquer sur "Ajouter aux Favoris" en haut de leurs pages).
La soprano norvégienne Beate Mordal est certes la moins sonore du plateau (et n'est en cela pas aidée par le chef d'orchestre qui reprend immédiatement la deuxième partie de son air alors que le public couvre encore la chanteuse d'applaudissements et de brava). Mais cette petitesse en décibels est un moindre défaut, puisqu'elle troque le volume contre un aigu vibré, des trilles et ornements d'une intense qualité, parfaitement cohérents et maîtrisés. En outre, elle ajoute à sa voix une grande éloquence dramatique et technique, un jeu d'actrice naturel. Une artiste à suivre donc et que nous aimerions immédiatement entendre dans une plus petite salle, avec un répertoire de musique ancienne et peut-être ailleurs lorsque sa voix grandira.
Rachel Kelly est une mezzo-soprano irlandaise dôtée de la voix la plus complète du plateau. Depuis son médium bien charpenté, elle monte jusqu'à un aigu rayonnant et peut même convoquer une voix de poitrine dans ses descentes graves, le tout avec un vibrato rapide, ample et chaleureux. Surtout, son messa di voce (crescendo et decrescendo nourris sur une même note) est un envoûtement. Certes, son jeu est rudimentaire, enchaînant des postures, mais l'interprète n'est pas aidée par les lumières défaillantes et un accoutrement peu inspiré (talons aiguilles, haut pantalon et tunique noirs).
L'Américain Ethan Simpson est le baryton et le benjamin de la soirée (du haut de ses 25 printemps). Très généreux en souffle, son aigu sonore est encore tendu mais prometteur. Il joue de son visage expressif et d'un port altier. Après la première partie de l'air "Per me giunto... Carlo ascolta" (du personnage de Posa dans Don Carlo de Verdi), très appréciable, le chanteur reste sur scène sous les applaudissements nourris et offre une seconde partie impressionnante d'implication, de volume et d'expression noble, terrifiée, déchirante. Il finit salué par de sonores vivats et recevra le 3ème Prix du Jury (ex-æquo) ainsi que le Prix masculin du public.
Ethan Simpson (© Eric Mercier)
Avec sa belle voix de basse polonais, Rafal Pawnuk réjouit le public, déjà par son choix d'un opéra trop méconnu : Aleko de Rachmaninov (coïncidence incroyable, il s'agit de l'Air du Jour sélectionné pour vous par Stuart Skelton !). Sa couleur vocale est typique de l'école russe, avec ses consonnes chaudes en bouche, ses voyelles mouillées et la sensibilité d'outre-Oural projetant la voix vers des douleurs crépusculaires. Du fait même de ces qualités, le regret est d'autant plus grand lorsque la voix disparaît, couverte par les fortissimo des cuivres et des timbales. L'interprète se montre toutefois à son aise en basse-bouffe dans L'Elixir d'amour de Donizetti.
Trystan Llŷr Griffiths, ténor en provenance du Royaume-Uni, décroche le 2ème Prix du Jury. Sonore dans l'aigu, avec un son maîtrisant la couverture vocale, il remplit aisément le Théâtre. Ce registre assuré fait regretter l'absence de notes, de résonances et d'harmoniques graves. Assuré dans la ligne solfégique, il tient bien le tempo, y compris lorsque l'orchestre ralentit les conclusions de phrases.
Trystan Llŷr Griffiths (© Eric Mercier)
L'autre ténor de la soirée est Alasdair Kent. Cet australien s'essaye à des aigus héroïques, encore fragiles et verts de jeunesse, mais pas désagréables à entendre. Si cet aigu n'est pas encore assuré et s'il manque de son plein ancrage vocal, le chanteur sait alléger certaines fins de phrase dans un timbre doux et chaleureux, émouvant. L'avenir lui permettra de continuer à travailler son jeu d'acteur, afin d'ajouter de la variété aux deux seules postures qu'il enchaîne : main ouverte tendue ou main sur la poitrine.
Camila Titinger est une soprano brésilienne de 27 ans, récompensée lors de ce concours par le 3ème Prix du jury ex-æquo et très appréciée pour ses débuts en France, en Comtesse Almaviva à Toulon le mois dernier (retrouvez ici notre compte-rendu). Sa maturité vocale, sa gravité même sont bien en avance son son statut de jeune talent. Elle est aussi à l'aise dans le grave du mezzo que dans des aigus cristallins puissants, qui clouent le spectateur sur son siège. Dès lors, la légèreté du grave passerait presque pour un diminuendo volontaire.
Camila Titinger (© Eric Mercier)
Marta Fontanals-Simmons (à entendre dans Les Noces de Figaro au TCE en réservant ici) est une mezzo britannique à la voix froncée, voilée, au timbre sombre bien que le vibrato rapide projette des aigus nasaux. Elle accompagne ses rapides trilles de légers mouvements de tête, écarte ses mains, les ramène sur le plexus ou les joint en prière. Elle désarticule aussi son corps, dans des ondulations de femme-caoutchouc, avant de menacer le public d'un plumeau aussi pourpre que sa robe. Les années lui permettront d'amplifier son souffle, encore court, même dans le répertoire giocoso.
La soirée s'achève avec "Cet air, noble châtelaine" du Comte Ory (Rossini), un grand ensemble qui donne aux neufs interprètes l'occasion d'unir simultanément leurs voix sur scène. Le public rie de bon cœur lorsqu'ils se dandinent en ligne et l'assistance enthousiaste offre une masse sonore d'encouragements (à l'image des bravi stimulants qui saluèrent chacune des prestations de la soirée).