Le Turc à Sagi reste enjoué à Toulouse
S’il s’agit d’une nouvelle turquerie créée un an après l’Italienne à Alger, Le Turc en Italie de Rossini n’est pas un simple copier-coller. Plus complexe et moins invraisemblable dans son intrigue, il montre également une évolution dans sa musique avec des mélodies plus fines, comme c’est par exemple le cas de l’air Un marito Scimunito dans lequel la verve des violons magnifie une partie vocale plus quelconque. En quelques mots, l’intrigue est celle d’un poète manipulant une jeune femme, son mari, son amant, un Turc et une bohémienne pour tenter de façonner une histoire digne d’être écrite.
Emilio Sagi livre une mise en scène travaillée. Le décor signé Daniel Bianco, représentant une rue napolitaine, est somptueux, riche d’une quantité de menus détails que l’on observe avec des yeux d’enfants. Durant l’ouverture, cette rue s’éveille peu à peu : d’abord plongée dans le noir, elle gagne petit à petit en luminosité avant que les premières lumières ne s’allument une à une. La pizzeria (qui ne vend en fait que des boissons tout au long de l’opéra…) placée au centre du plateau ouvre son rideau et les villageois viennent peu à peu s’y installer. Le chœur et les figurants passent et repassent dans la rue ou apparaissent aux fenêtres, créant en arrière-plan de multiples intrigues cachées : il faudrait assister à une seconde représentation pour toutes les décortiquer ! Régulièrement, un tramway passe à l’arrière scène, déposant ou emmenant les villageois. Seule l’utilisation d’un bateau miniature sur un drap bleu pour figurer l’arrivée du Turc tranche avec l’aspect réaliste de la scénographie. Le plateau est magnifiquement utilisé, tant sur sa largeur que sur sa profondeur et sa hauteur. Tout cela crée du jeu et de la vie, mais oblige à rester concentré pour profiter de la musique et de l’intrigue principale. Autre aspect méritant d’être relevé : les saluts sont mis en scène et travaillés, ce qui laisse une dernière impression goutue. La direction d’acteurs du metteur en scène est très réussie, ce qui est facilité par les grands talents de comédiens de l’ensemble de la distribution.
ZhengZhong Zhou, Franziska Gottwald et Anton Rositskiy dans le Turc en Italie (© Patrice Nin)
Au centre de cette intrigue se trouve le poète Prosdocimo, qui tire les ficelles, conseillant les uns et les autres, non pas pour résoudre leurs problèmes, mais pour tirer de leurs aventures une intrigue la mieux construite possible. Porte-parole de Rossini, il explique au public les éléments qu’il considère nécessaire à une intrigue réussie, le choix de la diviser en seulement deux actes ou encore l’importance d’aboutir à une fin morale. Souvent comparé à Don Alfonso de Cosi fan tutte de Mozart qui manipule également les autres protagonistes pour faire avancer l’histoire en prenant le public à témoin, il se rapproche également par certains côtés de Figaro dans le Barbier de Séville ou d’Alidoro dans la Cenerentola. C’est le jeune ZhengZhong Zhou qui interprète ce rôle. S’il n’a aucun air, il est très omniprésent scéniquement, et est présent dans de nombreux ensembles et récitatifs. Le baryton chinois fait preuve d’un dynamisme et d’une prosodie qui siéent parfaitement aux exigences du rôle.
Le baryton Alessandro Corbelli interprète le mari trompé, Don Geronio. A la fois touchant et drôle, ce grand serviteur du répertoire rossinien (il débite son texte à une vitesse folle avec une articulation soignée) et du rôle en particulier cache bien ses 64 ans derrière une énergie spectaculaire. Bombant le torse ou multipliant les mimiques ahuries ou amoureuses, son jeu scénique est si précis que les surtitres en deviennent inutiles. Sa voix puissante lui permet de poursuivre son chant après être entré dans l’une des maisons du décor, pour réapparaître quelques mesures plus tard, à une fenêtre, le tout en restant audible et compréhensible.
Sabina Puertolas et Alessandro Corbelli dans le Turc en Italie (© Patrice Nin)
Son duo avec Sabina Puertolas, l’interprète de son épouse volage Fiorilla, est réjouissant car ils partagent le même goût et le même talent pour la comédie. La soprano espagnole est une femme fatale coquette, moderne et élégante (avec son sac à main assorti à sa robe blanche à fleurs), qui mène son monde par le bout du nez avec un plaisir non dissimulé. Elle n’est pas moins convaincante dans le registre pathétique lorsqu’elle se voit rejetée de tous à la fin de l’opéra. Sa voix légère et agile dispose d’un timbre charmant et d’aigus très purs, qu’elle vibre avec légèreté sur un mince filin de voix.
La jeune femme a donc deux amants. Le premier, Narciso, est interprété par Yijie Shi, un ténor chinois déjà entendu in loco dans La Favorite de Donizetti voici deux ans. Très applaudit, il bénéficie d’une voix puissante et claire de bel cantiste au son légèrement nasal. Bien soutenu durant son grand air par un tuba débonnaire, il délivre des aigus faciles et fortement cuivrés. Quelques instants plus tard, il paraît moins à l’aise dans un registre plus grave, lorsque son personnage singe le Turc Selim. Ce dernier, le second amant de Fiorilla, est chanté par Pietro Spagnoli dont la voix profonde au timbre onctueux est une solide fondation dans l’architecture des ensembles vocaux. Sa stature et son art de la nuance lui permettent d’imposer un rôle-titre solide.
Yijie Shi dans le Turc en Italie (© Patrice Nin)
La mezzo-soprano Franziska Gottwald est une Zaida à la voix ample et voluptueuse. Elle partage une belle tenue vocale avec le ténor Anton Rositskiy qui interprète Albazar. Ce dernier a su s’attirer les faveurs du public avec son unique air grâce à des aigus puissants, tenus et vibrés avec légèreté.
Le chef Attilio Cremonesi conduit l’Orchestre national du Capitole avec légèreté. Certes, les premières interventions des vents laissent entendre quelques fausses notes et la partition ne virevolte pas autant que Rossini ne le permet. Il transmet en revanche son énergie, donnant toutes les impulsions et les respirations. Le quintette a capella de l’acte II est dirigé avec des gestes précis qui participent à la beauté de cet ensemble. Finalement, ce Turc en Italie s’avère tout à fait divertissant, ce qui est déjà beaucoup : le public n’en demandait pas plus.
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