Owen Wingrave par l’Académie de l’Opéra de Paris : à mort la paix !
Il est toujours passionnant de voir éclore les talents qui chanteront demain sur les scènes de l’Opéra de Paris. C’est ainsi que nous retrouvons dans les productions de cette saison de nombreux chanteurs de l’Orfeo donné l’an dernier (lire notre compte-rendu) : Gemma Ni Bhriain dans Lucia di Lammermoor, Tomasz Kumiega et Emanuela Pascu dans Iphigénie en Tauride (réservations ici), Laure Poissonnier et Mikhail Timoshenko (tous deux également présents dans cet Owen Wingrave), dans Rigoletto (réservation ici), etc. De nouvelles voix ont ainsi pu éclore dans le cadre bienveillant de l'auditorium de Bastille.
Le metteur en scène Tom Creed en répétition pour Owen Wingrave (© Elena Bauer)
Owen Wingrave de Britten est une œuvre écrite pour la télévision au beau milieu du marasme de la guerre du Vietnam, dans laquelle un jeune militaire prometteur effectue son coming out pacifiste et se voit rejeté de sa famille. La mise en scène de Tom Creed est minimaliste et fait appel à plusieurs trouvailles qui ne sont toutefois pas toujours pleinement exploitées. La scénographie est composée d’un mur de parpaings uniquement percé d’une porte en son centre. Dans le programme, le metteur en scène s’avoue d’ailleurs intéressé par les échos que trouve ce décor, imaginé il y a un an, dans l’actualité proche (le Brexit, par lequel -selon lui- les anglais ont construit un mur symbolique avec le reste de l’Europe, puis l’élection surprise de Donald Trump qui a promis de dresser un mur anti-migrants à la frontière des États-Unis et du Mexique). Sur des promontoires, des oiseaux naturalisés sont exposés à l’avant-scène. Un projecteur circule autour de la scène sur un rail circulaire, créant des jeux d’ombres mouvantes sur le mur participant à créer une atmosphère sombre et inquiétante. Les jeunes chanteurs de l’Académie auront d’ailleurs pu tester dans cette production ce qui leur sera ensuite généralement interdit, comme chanter dos au public, ou derrière un élément de décor ! Avec un nombre important de personnages, une quasi-absence d’accessoires (à part des bouteilles de vin, dont tous les personnages s’abreuvent abondamment) et un décor intangible, la direction d’acteurs est primordiale. Or celle-ci manque terriblement aux jeunes artistes qui ont tendance à errer sur scène, enfermés dans des gestiques répétitives. L’usage de la salle (plusieurs scènes ont lieu dans les travées de l’auditorium) est en revanche intelligent et permet de créer différents espaces et différentes acoustiques.
Le rôle-titre est interprété par Piotr Kumon, annoncé comme souffrant d’une laryngite. Cela ne l’empêche pas d'afficher une voix profonde émise du fond de la gorge afin d'en couvrir le son. À la fin de l’acte I, il interroge sa famille d’un « obey ? » fin et vibré dans les graves, du plus bel effet. Dans le jeu, il connait des moments de grâce, comme lorsqu’il émet un rire rauque, le regard fou, tandis que sa famille s’approche de lui et l’entoure, le harcelant, ou encore, plus tard, lorsqu’il se retrouve dos au mur, croulant sous les insultes, tel un condamné attendant son exécution. Dans ce personnage angoissé qu’il crée, on reconnait cependant peu le brave militaire promis à un si brillant avenir que tous décrivent.
Piotr Kumon répétant Owen Wingrave (© Elena Bauer)
Le couple Coyle, interprété par Mikhail Timoshenko et Sofija Petrovic, révèle deux brillants interprètes. Le premier est un militaire rigide d’aspect mais montrant un grand cœur. Sa voix est bien posée et ses intonations dans la langue de Shakespeare particulièrement travaillées. La seconde dispose d’une voix bien ancrée qui emplit l’espace de son timbre dramatique. Jean-François Marras incarne Lechmere, un camarade de régiment d’Owen Wingrave. Ce ténor tonnant laisse entrevoir un plaisir du jeu qui promet de belles interprétations. Il parvient à monter dans les aigus de sa tessiture sans perdre le charme de son timbre. La fiancé du personnage central, Kate, est chantée par Farrah El Dibany dont la voix de mezzo-soprano dispose de graves chauds mais d’un timbre moins structuré dans l’aigu. La Miss Wingrave (la tante d’Owen) d’Elisabeth Moussous paraît à son aise, imposant sa voix puissante avec une certaine autorité. Juan de Dios Mateos Segura interprète le Général, patriarche de la famille, qui sacrifie au début la musicalité de son chant pour singer une voix de vieillard, avant d’abandonner cette idée et de conclure l’opéra d’une voix douce et piano, très émouvante. L’idée de donner à voir au public, par un jeu d’ombres et de lumière, la scène en coulisses au cours de laquelle il déshérite Owen est ingénieuse et très efficace scéniquement. Enfin, plus en retrait, Laure Poissonnier offre toutefois une intensité dramatique remarquable dans sa vocalité. De belles découvertes à retrouver dès cette année dans Les Fêtes d’Hébé à l’amphithéâtre, voire sur la scène principale de Bastille pour certains !