FASZINATION WAGNER (Wiesbaden, le 29 mai 2019)
FASZINATION WAGNER
le 29 mai 2019
Hessisches Staatstheater Wiesbaden
Solistes : Lidia Baich (violon), Andreas Schager (ténor)
Hessisches Staatsorchester Wiesbaden
Direction musicale : Guillermo García Calvo
Mise en scène et réalisation des projections vidéos : Selcuk Cara
Le deuxième volet de cette trilogie wagnérienne à Wiesbaden nous mène à découvrir une soirée entière voulue comme un “concept” (en allemand “Konzept” qui possède une dénomination et une interprétation du terme toute germanique) intégralement dédiée à l’oeuvre et à la musique de Richard Wagner.
Le programme de la soirée placardé sur les emplacements dédiés aux affiches se montre assez avare de commentaires quant à une description exhaustive de ce qui va être présenté au cours des trois heures de spectacle à venir. D’où une certaine curiosité du public qui ne sait ce qui va lui être donné exactement d’entendre et de voir - un public venu, il est vrai, en majeure partie pour assister à la performance héroïque du ténor autrichien Andreas Schager qui a su s’imposer peu à peu sur toutes les scènes internationales majeures comme “le” Heldentenor wagnérien de ce début du XXIème siècle.
Au programme, rien d’autre ne figure donc que quelques indications promptes à exciter les pronostics les plus audacieux : seules figurent la mention des interprètes ainsi que - en ce qui concerne le programme - “extraits de Lohengrin, Tristan et Isolde, La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des Dieux” (sic).
C’est dire à quel point, en entrant dans la salle, le public est à la fois médusé et excité par ce “happening” dont au mieux il aura lu quelques entrefilets dans la presse ou sur le net relatifs à ce fameux “Konzept”.
D’après l’interview qu’avait donnée Andreas Schager au Musée Virtuel Richard Wagner peu avant la création du spectacle à Prague fin octobre 2018 au Forum Karlin de Prague, avec l’Orchestre de l’Opéra de Prague dirigé par Matthias Fletzberger, l’ambition du spectacle était avant tout de communiquer au public le plus large possible (les wagnériens inconditionnels tout autant que les néophytes) cette “fascination” même que la musique de Richard Wagner - source comme on le sait d’émotions vibrantes et profondes qui proviennent du coeur - peut exercer sur tout un chacun. Par quel biais ? La succession de “tubes” calqués les uns et après les autres sans cohérence profonde sera sans doute le seul bémol que l’on pourra opposer à cette soirée, pour le moins il est vrai, hors du commun et exceptionnelle par l’interprétation de l’orchestre et des solistes.
En guise d’ouverture, et alors que les lumières de la salle sont encore allumées (elles plongeront ensuite progressivement la salle dans l’obscurité indispensable à l’appréhension de l’oeuvre de Richard Wagner), les premiers accents divins du prélude de Lohengrin émanent de la fosse, dirigé à la fois puissamment et subtilement inspirée par la baguette du chef Guillermo García Calvo. Si cette mise en condition n’est certes pas des plus originales, l’interprétation que réussit le chef à “extraire” du Hessisches Staatsorchester n’en demeure pas moins inspirée et efficace. Et nous donne l’impression que les auteurs de cette immense mise en abîme wagnérien allait chercher avec les sublimes premiers accords du Prélude la quintessence même de la poésie musicale et sonore de l’art de Richard Wagner. Tour à tour transparent, limpide puis d’une intensité rare, l’orchestre nous livre là une très belle exécution de ce “tube wagnérien”. Mais, un peu déconcerté, - car il ne sait si l’exécution du “Konzept” a déjà débuté ou non - le public réagit timidement, à la conclusion de l’interprétation de cet incontournable, par quelques applaudissements épars : force est de reconnaître que la connaissance du public germanique du répertoire wagnérien n’est plus à prouvée ! Et ce dernier sait que l’on n’interrompt pas le bon déroulement d’une soirée wagnérienne par des émanations incongrues !
Pause.
Après avoir atteint les accents célestes et sublimes de Lohengrin, c’est au tour des affres de la passion dévorante de Tristan et d’Isolde que le public est convié à partager.
Pour support musical, cette fois, c’est une paraphrase du drame musical - fort efficace et immensément chargée d’émotions - pensée et réalisée pour l’occasion par Matthias Fletzberger, le chef d’orchestre de la création initiale de ce spectacle donné à Prague et formidable connaisseur de l’oeuvre wagnérienne. Et pour laquelle ce génial “transcripteur” a fait la part belle au violon solo qui est ici incarné (sur scène) par la soliste Lidia Baich qui n’est autre à la ville que l’épouse du ténor Andreas Schager. Sublime, extatique, transportant, les qualificatifs ne sont pas assez nombreux pour exprimer ici le jeu de la violoniste qui pendant près de trente minutes réalise avec brio une sorte de sublime preuve de sensibilité et de virtuosité. Tour à tour, le violon se doit d’incarner les personnages d’Isolde, de Tristan, les forces de l’élément marin lui-même ou bien encore l’attente, la détresse, l’extase et le désespoir. Tous les éléments qui font de Tristan ce qu’il est sont ainsi réunis en une efficace réflexion sur la partition. Si ce “matériau musical” unique et utilisé pour l’occasion est des plus subtils et des plus intéressants qu’il nous ait été donné d’entendre, le jeu intense, passionné et virtuose de Lidia Baich à son archet ne peut qu’ajouter au succès de cette performance qui clôt la première partie de cette soirée de manière tout à fait enthousiaste et que le public accompagne d’une chaleureuse ovation.
Là où le bât blesse, c’est sans doute l'accompagnement par la vidéo qu’a tenté de réaliser Selcuk Cara.Pour toute mise en espace, le rideau de scène noir se lève progressivement de bas en haut sur les images projetées du bouillonnement d’un torrent d’eau (un ruisseau, un fleuve, la mer ?). Là où la beauté sculpturale de l’interprète aurait suffit à elle-seule à procurer l’émotion. Un surplus dont la réalisation sans grande originalité prouvera hélas son inutilité. Mais la musique heureusement est là pour faire triompher l’art de Richard Wagner dans sa quintessence originelle.
Après l’entracte, le public est convié cette fois à découvrir ce fameux “Faszination Wagner”, sorte de “fantaisie” (comme on entendait au XIXème siècle) sur le Ring qui sur près d’une heure et quart va nous transporter tel un voyageur à la découverte des moments forts de cette partition de plus de seize heures.
Pour ce voyage-là, nous aurons pour guide Andreas Schager qui dès les premières mesures (les célèbres accords de la “Marche funèbre de Siegfried”) apparaît sur scène, tout vêtu de blanc, volontairement voulu neutre pour signifier que si l’interprète va tour à tour endosser les rôles de Siegfried, de l’”autre Siegfried” (celui du Crépuscule des Dieux), ou bien encore de Siegmund, il n’en demeure pas moins un interprète au service de la dramaturgie (poème et musique) de Richard Wagner.
Et si Schager va incarner - tour de force des plus vaillants - ces mêmes personnages, il est celui qui, au pâle maquillage et à l’habit des morts va renouer avec ses origines, la propre gestation puis la création de son individualité (le costume blanc de la couverture amniotique) : une sorte de mort-vivant qui renoue avec son enveloppe de cocon originelle de laquelle va naître le héros. L’idée de base est forcément intéressante, son développement via la scénographie sera hélas assez peu convaincante.
Car si la partition (un arrangement des “highlights” du Ring, toujours conçu par Matthias Fletzberger) se montre encore une fois puissamment efficace, le spectateur risque de se perdre lui-même un peu dans les méandres de la réalisation telle que présentée par Selcuk Cara. Pensée en quatre parties successives (I-La création, II- La réflexion, III- L’origine, IV- Le destin), le héros naît des images des principaux moments de sa propre existence qu’il revit au moment de mourir. Le protagoniste va ainsi évoluer sur l’avant-scène tandis que derrière lui sont projetées des images (ou plutôt des symboles) évoquant tour à tour la figure du père (le loup), le forgement de l’épée Notung (des projections de feu), son dialogue avec le chant de l’oiseau (les méandres d’une forêt) ou l’amour vaillant pour la bien-aimée (un cheval). Force est de constater qu’il faut être un wagnérien connaisseur pour savoir rapprocher le cheval du personnage de Brünnhilde (tout le comme le loup, de celui de Wotan) pour saisir toute la subtilité de cette mise en image, ou … ne rien connaître du Ring, se laisser porter par la beauté de la réalisation et … hélas, passer à côté de tout le message qu’a tenté de porter le réalisateur. S’il est évident que l’on peut saluer la beauté de l’image, le discours - confus - mène bien souvent à la méprise. Et à l’incompréhension totale. Il y a quelque chose d’inachevé dans cette vision du Ring telle que le scénographe la présente au public.
Mais il y a Andreas Schager. Et ce n’est pas rien. Rompu à toutes les exigences les plus extrêmes requises par les incarnations de tous les rôles de Heldentenor, la capacité (l’endurance, mais également l’intelligence musicale) de l’artiste à affronter ce véritable marathon de vaillance n’est plus à démontrer. Après avoir été révélé au public de Bayreuth pour son incarnation de Parsifal, le ténor autrichien - qui connaît depuis quelques années à peine une ascension fulgurante - s’est illustré tout aussi bien dans les rôles de Siegfried, de Tristan, de Siegmund ou bien encore de Lohengrin de la scène du Met à celle de la Staatsoper de Vienne, celle encore de Berlin ou bien de Paris. On sait combien son Siegfried fin 2019 est attendu sur la scène de l’Opéra-Bastille tout autant que son incarnation du bouillonnant héros sur celle du Festspielhaus de Bayreuth en 2020. Tantôt prodigieusement éclatant dans le chant de la Forge, tantôt divinement émouvant dans ses derniers souffles lorsqu’il évoque le souvenir de la bien-aimée, Andreas Schager, magnifique héros à la complétude absolue convainc et remporte haut la main le pari risqué de s’exposer ainsi avec vaillance et sincérité.
L’orchestre sous la conduite toujours inspirée et attentive de Guillermo Garcia Calvo est plus qu’un support ; il devient un véritable décor musical à part entière. La délicatesse du jeu, les couleurs de l’interprétation, l’intensité de la sonorité admirablement réfléchie pour le cadre du Staatstheater de Wiesbaden se révèlent sans aucun doute beaucoup plus convaincantes que ne le sont les projections du scénographes qui ne réussit pas à créer cette symbiose grandiose à laquelle était parvenu Bill Viola pour le Tristan de Peter Sellars à l’Opéra-Bastille.
A l’issue de la représentation, le public salue avec un déchainement d’admiration la prestation d’Andreas Schager, se montre nettement plus réservé sur la mise en images de Selcuk Cara et salue avec triomphe la performance du chef d’orchestre.
Une soirée intense par son interprétation … qui hélas ne manquera pas de laisser sur sa faim le wagnérien passionné qui aurait aimé voir là le parachèvement de l”’Oeuvre d’art totale” telle que pensée par Richard Wagner.
(Suite de la “Trilogie wagnérienne à Wiesbaden” avec Les Maîtres chanteurs de Nuremberg donné au Staatstheater de Wiesbaden, le 30 mai 2019)