Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg (Wiesbaden, le 26 mai 20219)
TRILOGIE WAGNERIENNE A WIESBADEN
Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg, le 26 mai 20219
Faszination Wagner, le 29 mai 2019
Die Meistersinger von Nürnberg, le 20 mai 2019
Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg Richard Wagner (1813 – 1883)
Große romantische Oper in drei Akten In deutscher Sprache. Uraufführung: 1845 in Dresden, 1861 in Paris
Direction musicale : Patrick Lange - Mise en scène : Uwe Eric Laufenberg - Décorsn: Rolf Glittenberg - Costumes : Marianne Glittenberg - Vidéos : Gérard Naziri - Direction des choeurs : Albert Horne - Lumières : Andreas Frank - Dramaturgie : Regine Palmai
Hermann, Landgraf von Thüringen : Albert Pesendorfer - Tannhäuser Andreas Schager ; Elisabeth : Betsy Horne ; Venus : Jordanka Milkova -Wolfram von Eschenbach : Benjamin Russell - Walther von der Vogelweide : Aaron Cawley - Biterolf : Thomas de Vries - Heinrich der Schreiber : Ralf Rachbauer - Reinmar von Zweter : Daniel Carison - Ein junger Hirt : Stella An - Nymphen und Grazien : Charlotte Dambach, Laurin Thomas, Rouven Pabst, Sacha Glachant, Veronica Bracaccini / Viviana Defazio Vier Edelknaben Eunshil Jung, Hyerim Park, Isolde Ehinger, Daniela Rücker Chor & Extrachor des Hessischen Staatstheaters Wiesbaden, Statisterie des Hessischen Staatstheaters Wiesbaden, Hessisches Staatsorchester Wiesbaden Video: Foyer Decke Staatstheater Wiesbaden
Première étape de cette trilogie wagnérienne avec le Tannhäuser dans la mise en scène de Uwe Eric Laufenberg (décors de Rolf Glittenberg et costumes de Marianne Glittenberg) créée in loco le 19 novembre 2017. Et reprise depuis à l'occasion de trois séries de représentations. Après le ténor Lance Ryan qui créa l'événement dans cette production, puis l'an dernier avec Klaus Florian Vogt dans le rôle torturé Minnersinger, c'est au tour de la star internationale, Andreas Schager - révélation du Festival de Bayreuth - que d'endosser cette fois le costume de pèlerin de Thuringe.
La production - pour un peu qu'elle ne soit sans doute pas la production la plus inspirée de Laufenberg - est une reprise exacte de celle qui a été donnée aux spectateurs de découvrir à sa création : dans cette vision très pessimiste de l’opéra de Richard Wagner, l'accent est mis sur la difficulté qu'il est, pour tout un chacun, de vivre sa foi. Et combien il est lourd et difficile de porter telle celle-ci envers et contre tout (et tous), telle cette immense croix qui remplira quasiment tout le plateau de l'acte III. Tout le drame se jouera dans un décor unique évoquant tour à tour la salle des chanteurs à la Wartburg, le Venusberg ou bien encore des décors d’extérieur grâce à un jeu de projection sur la façade de fond de scène.
Dès l'ouverture (jouée à rideau progressivement ouvert), le metteur en scène entreprend de nous relater le drame qui s'est joué, il y a de cela bien longtemps lorsque le chevalier Tannhäuser fut banni pour la première foi de la société (trop) bien-pensante des Minnesänger. Pour avoir clamé trop fort sa volonté d'exprimer trop librement... Sa liberté d'aimer comme il l'entend.
Des pèlerins en partance pour Rome prêts à partir sont assis devant un écran de projection sur lequel on diffuse comme pour les "conditionner" des images pieuses allant de l'éclat des vitraux aux apparitions publiques du Pape depuis le balcon de l'église Saint-Pierre de Rome (vidéos de Gérard Naziri et Falko Sternberg). Ces éloges de la foi sont presque si foisonnants qu'ils en deviennent étouffants pour l'un des pèlerins condamné à aller expier sa faute en la ville Sainte : c'est bien entendu Tannhäuser, pour qui, décidément... c'en est trop ! Au fur et à mesure que la musique du Vénusberg monte de l'orchestre (et que tous les pèlerins ont déjà entamé leur voyage), notre piètre chevalier, en proie à des hallucinations quasi- hypnotiques (des dérivées d'opiacés), révèle les tréfonds de son âme pris au piège tentaculaire de Venus. Non, il ne partira pas à Rome, mais préfère céder aux transports enivrants des danseurs nus qui se sont mélés à la troupe des pèlerins tentant de mener les derniers “hésitants” aux charmes du Vénusberg. La chorégraphie du Venusberg (sur la musique de Wagner pour sa révision de Tannhäuser pour la scène de l’Opéra de Paris en 1861) offre à voir des excès de nudité qui firent scandale en 2017 et qui n'apportent sans doute aucune valeur ajoutée en elle-même. Après les saintes images visant à exalter dans le coeur des pélerins l’exaltation intérieure de la foi, le fond de scène sert de support à la projection d’une succession effreinée d’images tantôt psychadéliques tantôt érotiques (le sexe lié à la consommation d’opiacé, rien de nouveau sous le soleil) jusqu’au climax final. Puis la délivrance de cette étourdissante freinésie par l’aboutissement et la (sur-)consommation du désir.
Il faut bien avouer qu'il y aurait de quoi se damner pour la personne de Dame Venus, interprétée par la mezzo-soprano Jordanka Milkova, beauté sculpturale hors-pair et captivante tant par le physique que par le timbre chaud et ensorceleur. La mezzo-soprano maîtrise une ligne de chant impeccable dans le rôle difficile de la déesse de l’amour, avec des graves solides et une maîtrise impeccacbles des aigus, clameur de la fureur de la déesse outragée.
Car si la foi se révèle lourde à porter dans cette production, l'amour n'en est pas moins difficile à vivre. Même pour Dame Venus qui en vient à s'inquièter, douter du l’attrait de ses charmes, face à celui (Tannhäuser) qui menace de la quitter. Il est fascinant de voir combien la stature marmoréenne de son personnage se trouble, se fige, puis maudit le chantre de l’amour sans jamais exploser.
Ce Tannhäuser-ci, n'est donc nul autre qu'Andreas Schager. Le ténor, habitué à donner dans les excès de voix (l’apanage d’un Siegfried), ne cesse décidément de nous étonner. A la puissance de sa voix (qui a déjà été louée dans les innombrables critiques qui l'ont salué dans ses prestations de Berlin au Met), s'ajoute désormais une palette de nuances que le chanteur star de toutes les plus grandes scène wagnériennes nous révèle à présent. Indéniablement, Schager a beaucoup travaillé sur les différentes couleurs qu'il peut dégager de son instrument remarquable... Ce dont ses fans ne peuvent que se réjouir. Et ce qui achèvera de clouer le bec à ses quelques détracteurs qui ne voient en lui qu'un "fort ténor". Aussi les hymnes à Venus sont certes chantés avec vaillance et fait preuve de la maîtrise d’un soufle infini, mais font la part belle également aux legati interprétés avec distinction. Le récit de Rome est une merveille d’interprétation, chaque mot, chaque note étant pensée avec une intelligence remarquable. Jusqu’à un “Heilige Elisabeth, bitte für mich” final murmuré, sursurré dans un pianissimo maîtrisé avec perfection. Et qui émeut jusqu’aux larmes.
Les affres de la torture intérieure de l'amour sont également merveilleusement incarnée par la soprano Betsy Horne, Elisabeth au timbre frais et juvénile. Née en Californie, rompue au répertoire allemand (ayant construit progressivement sa carrière outre-Rhin), l’interprète échappe à l’éccueil du personnage de jeune vierge un peu naïve pour camper une princesse résolument altière et fière. Car - si l’on peut oser la comparaison - il y a en elle “quelque chose d’une Renée Fleming” en cette artiste. Une fraiche candeur mélée d’une distinction naturelle pour qui il suffira d’un “Halt !” pour arrêter la meute des membres de la Cour de Thuringe qui veulent s’en prendre à celui qu’elle aime secrètement. Pour autant, elle également victime de cet amour pour lequel on souffre, on déchoît puis l’on meurt subira une lente agonie qui dans toute la première partie du troisième acte force la compassion.
Entre autres victimes collatérales de l’amour impossible et destructeur, il y aura également le Wolfram du jeune baryton Benjamin Russell, aussi engagé scéniquement qu’il incarne cette souffrance si magnifiquement noble qu’elle est toute intérieure et contenue à chaque instant.
Le chanteur donne de la Romance à l'Etoile une véritable leçon de chant. Totalement sublimée, héroïque, crépusculaire. Dans un autre registre, le Landgrave Hermann, Albert Pesendorfer (magnifique basse, rompu au répertoire wagnérien et immense Marke, Hagen ou bien encore Hunding) n'est pas le moins inquiet des protagonistes du drame. Dès le début du deuxième acte, l’oncle d’Elisabeth pressent l’inclination dangereuse de sa nièce d'Elisabeth pour le chanteur pénitent. Et c’est ainsi qu’il assistera impuissant à la perte de sa protégée avec une douleur et une détresse toutes communicatives envers le public. Une “force du destin” aussi implaccable dans ce Wagner-là que dans Verdi !
Peu d'espoir en conclusion dans ce Tannhäuser en définitive très noir que propose le prestigieux Festival de Mai de Wiesbaden. Seule lumière à ce si sombre tableau, la direction très enlevée (presque trop) du chef Patrick Lang (qui utilise pour partition une sorte de compromis entre la version de Dresde de 1845 et celle revue par Richard Wagner pour la création à l'Opéra de Vienne en 1865, en passant par celle repensée par le compositeur pour l'Opéra de Paris en 1861). Parfois trop vive, ce contraste opéré entre la direction d'orchestre et la direction du plateau nuit à ce qui aurait pu être la plus parfaite des symbioses. Regrettable.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Par la force évocatrice de ces différentes formes que prend sur scène un enfer résolument inéxorable, par l’engagement scénique d’artistes habités par leurs personnages et par l'homogénéité d'un plateau vocal touchant à la perfection, cette trilogie wagnérienne de Wiersbaden nous engage à envisager le meilleur pour les deux autres soirées à venir.
A suivre : “Fazination Wagner” avec Lidia Baich et Andreas Schager (compte-rendu de la représentation donnée au Hessisches Teater de Wiesbaden le 29 mai dernier)