L'opéra italien qui suivit le vérisme
Le Théâtre de la Scala de Milan
De
très nombreux amateurs d'opéra pensent que l'art lyrique italien avait
fini par s'étioler, puis quasiment disparaître, après la grande
vague des véristes (Mascagni, Leoncavallo, Giordano,
Ponchielli, Catalani, Cilea, Boïto, etc.). En réalité, il
n'en fut rien. En effet, plusieurs compositeurs de très grand talent
créèrent de superbes opéras durant les premières décennies du
XXe siècle, le plus souvent dans le prolongement de ce que l'on
appelle la tradition postromantique et en fait parfois du vérisme. Je vous
présenterai ici les cinq musiciens qui me semblent caractéristiques
de ce que je viens d'écrire : dans l'ordre chronologique, il
s'agira de Ferruccio Busoni (1866-1924), Franco Alfano (1875-1954),
Ottorino Respighi (1879-1936), Riccardo Zandonai (1883-1944), et
Licinio Refice (1883-1954). La qualité de leurs partitions lyriques
me semble incontestable, et je vais essayer de vous en convaincre, en
montrant par ailleurs ce que fut leur originalité, tout en
s'appuyant sur les acquis - notamment orchestraux - des compositeurs
(surtout italiens) qui les avaient précédés depuis la fin de la
grande période vériste. Ces musiciens s'étaient émancipés à la
fois du du bel canto de la première moitié du XIXe siècle,
puis de Verdi et des véristes, en intégrant assez souvent des
influences wagnériennes...
Ferruccio Busoni fut, tout à la fois, un compositeur, pianiste, professeur, et chef d'orchestre. Sa musique apparaît comme étant d'une grande complexité, ainsi que le plan contrapuntique, c'est-à-dire faite de plusieurs lignes mélodiques entremêlées. Et pourtant, il s'intéressa également au domaine des recherches faites en musique "moderne", de type "contemporaine" (comme on dit de nos jours, mais en fait depuis longtemps). Dans le cadre de l'art lyrique, Busoni nous livra deux opéras de grande valeur. Il y eut son "Turandot", une œuvre en deux actes avec des dialogues parlés, créée en 1917. Pour cette partition, le compositeur rédigea son propre livret en allemand (un fait étonnant), en s'inspirant de la pièce "Turandot" de Carlo Gozzi, et partit de la musique de scène et de la suite qu'il avait composées en 1905 pour une production de la pièce suscitée de Gozzi. Cet opéra est souvent interprété avec le précédent écrit par ce compositeur, une oeuvre en un acte intitulée "Arlecchino" (comprenant également, parfois d'une manière parodique, des dialogues parlés). Mais, son chef-d'œuvre - et même son véritable testament musical - est "Doktor Faust", malheureusement inachevé, pourtant créé en 1925, dans une version due à l'un de ses élèves, le pianiste et compositeur allemand Philipp Jarnach. Extrait 1 : un passage de "Doktor Faust" interprété par le baryton américain Thomas Hampson à l'Opéra de Zurich... https://www.youtube.com/watch?v=BGpRLAkj8zs
Franco Alfano doit être mis un peu à part, non qu'il fut un compositeur moins brillant que les autres, mais parce qu'il est surtout connu pour avoir complété, à partir de quelques bribes et esquisses laissées par Puccini lui-même, et à la demande d'Arturo Toscanini, les deux dernières scènes de "Turandot" (l'Acte III, après "La mort de Liu"), le dernier opéra puccinien, en 1926. Mais, il serait vraiment très injuste de ne pas mettre à son actif au moins deux de ses compositions en tant que partitions lyriques : "Rizurrectione" (d'après le roman "Résurrection" de Léon Tolstoï), un drame en quatre actes, qui fut créé le 30 novembre 1904 à Turin, et "Cyrano de Bergerac" (avec un livret du dramaturge français Henri Cain d'après la pièce d'Edmond Rostand), une sorte de comédie héroïque également en quatre actes, dont la création eut lieu le 22 janvier 1936 à Rome. Je vous assure que ces deux opéras valent vraiment la peine d'être écoutés, et avec la plus grande attention. Extrait 2 : des passages de "Cyrano de Bergerac" remarquablement interprétés par le ténor franco-italien Roberto Alagna et la soprano française Nathalie Manfrino à l'Opéra Berlioz / Le Corum de Montpellier... https://www.youtube.com/watch?v=Vn2XGclZgq4
Ottorino Respighi fut certes avant tout un compositeur notamment dans le domaine de la musique symphonique (dont il assura le renouveau en Italie). D'ailleurs, il avait subi l'influence de Rimski-Korsakov, de Max Bruch, et de Claude Debussy. Mais, il créa une bonne dizaine d'opéras, dont celui qui me semble le meilleur est "La Fiamma", un mélodrame en trois actes d'après une pièce d'un dramaturge danois. Cet opéra fut créé à Rome le 23 janvier 1934. L'intrigue d'origine (la pièce) est fondée sur l'histoire d'une femme norvégienne, nommée Anne Pedersdotter, qui fut accusée d'être une sorcière et brûlée sur le bûcher en 1590. En fait, Respighi et son librettiste - Claudio Guastalla - transposèrent l'action sur le plan chronologique et géographique en la situant au VIIe siècle et à Ravenne. Cette partition lyrique est d'une très grande qualité, "La Fiamma" ayant connu un succès considérable lors de la création romaine de l'oeuvre, avec une représentation dirigée par Respighi en personne. Extrait 3 : un passage de "La Fiamma" avec un duo interprété par la soprano espagnole Montserrat Caballé et le ténor également espagnol Antonio Ordoñez au Grand Théâtre du Liceu de Barcelone... https://www.youtube.com/watch?v=ezk7eoFkVo0
Riccardo Zandonai, lorsqu'il entra au conservatoire de Pesaro (dans la région des Marches), fut remarqué par le grand compositeur vériste Pietro Mascagni, qui n'hésita pas à soutenir cet élève qui lui apparaissait comme très talentueux. En 1912-1913, alors qu'il avait à peine 30 ans, Zandonai écrivit l'opéra qui le rendit célèbre : "Francesca da Rimini". Cette œuvre lyrique en quatre actes, qui se situe en plein Moyen Âge, fondée sur la pièce que le poète symboliste Gabriele D'Annunzio avait tirée d'un épisode célèbre de "La Divine Comédie" de Dante, et avec un livret de Tito Ricordi, fut créée le 19 février 1914 à Turin. Gabriele D'Annunzio et Riccardo Zandonai ne se rencontrèrent qu'assez peu et leurs rapports ne furent jamais très bons, l'écrivain jalousant le succès de l'opéra qui avait quasiment éclipsé sa pièce. L'œuvre de Zandonai rencontra d'ailleurs un énorme succès lors de sa création (et au-delà), contribuant à propulser le musicien au rang de chef de file de la nouvelle génération des compositeurs italiens venant juste après le cœur du vérisme. Au total, Zandonai créa une quinzaine d'opéras. Extrait 4 : un superbe duo d'amour de "Francesca da Rimini", entre Paolo et Francesca, interprété par le grand ténor espagnol Placido Domingo et la soprano italienne Renata Sctotto au MET de New York... https://www.youtube.com/watch?v=l8t1bn9dhhM
Licinio Refice doit être vu comme un cas particulier parmi tous ces musiciens, car il fut à la fois un homme d'Eglise et un compositeur. Il créa un nombre très important de messes et d’œuvres diverses de musique sacrée. Dans le domaine de l'opéra, qui nous intéresse ici, il en composa quelques-uns, dont deux sont considérés comme sortant vraiment du lot et ont été achevés. Dans l'ordre chronologique, il y eut d'abord "Cecilia", traitant de la légende de sainte Cécile (la patronne de la musique), une "action sacrée". Cette partition, qui avait été écrite en 1922-1923, est divisée en trois épisodes et fut créée à Rome le 15 février 1934. Lors de sa création, l'oeuvre fit sensation ; la présence de la célèbre soprano italienne Claudia Muzio, de réputation internationale, joua incontestablement un certain rôle dans ce succès. Ensuite, Refice composa, puis créa, "Margherita da Cortona", dont le sujet était celui d'une religieuse italienne qui vécut dans la seconde moitié du XIIIe siècle, et qui appartenait au Tiers-Ordre Franciscain Séculier, puis fut canonisée en 1728. La composition de cet opéra eut lieu en 1937, et sa création le 1er janvier 1938 au Théâtre de la Scala de Milan. Il se divise en un prologue et trois actes. Un point à connaître à propos de Refice : il mourut lors des répétitions pour une représentation de son opéra "Cecilia", à Rio de Janeiro (donc au Brésil), en 1954, alors q'une autre grande soprano italienne incarnait le rôle-titre en la personne de Renata Tebaldi. Extrait 5 : un passage bouleversant de "Cecilia" (après que l'on nous montre une présentation de la distribution), avec "L'air de l'Ange de Dieu" interprété par la soprano argentine Maria Lura Martorell à l'Opéra de Buenos Aires... https://www.youtube.com/watch?v=5GpTQHN3kWA