Se faire dépister du Covid au Teatro Colón
Reportage
Alors que l'Argentine subit de plein fouet la deuxième vague de la pandémie de Covid-19, le Teatro Colón est le siège de l'un des 26 centres DetectAr de la ville de Buenos Aires. Récit et réflexion autour d'un test de dépistage dans un endroit peu banal : le plus prestigieux théâtre lyrique d'Amérique latine.
Avec près de 3 millions de personnes atteintes du Covid, l'Argentine (45 millions d'habitants) est, après le Brésil, la deuxième nation d'Amérique latine la plus touchée par la pandémie. Le pays est sous tension extrême. La deuxième vague accélère dangereusement la courbe des contaminations et des décès : à ce jour, plus de 63.000 personnes ont succombé au Coronavirus. Les établissements hospitaliers publics et privés, à nouveau exclusivement dédiés à la lutte contre la maladie, arrivent à saturation, le manque d'oxygène commence à se faire ressentir dans les services de soins intensifs même si la situation est encore loin d'être aussi dramatique qu'en Inde sur ce point. Dans un climat de désaccords et de rivalités politiques chaque jour plus exacerbés en attente d'arbitrage de la Cour suprême du pays, le gouvernement national et les autorités locales gérant la capitale s'affrontent sur les conditions d'un retour à une quarantaine plus stricte, en particulier sur la question cruciale du maintien - ou non - des classes en présentiel dans les établissements scolaires de Buenos Aires. L'ouverture des théâtres, les protocoles régissant ces ouvertures et la situation des artistes sont a contrario des questions totalement absentes des débats en cours.
Sur fond d'aggravation de la crise sanitaire, la campagne de dépistage bat son plein sur les médias, la population étant encouragée à se faire tester. Des circonstances professionnelles ou personnelles peuvent vous pousser à faire ce test, gratuit et sans rendez-vous dès lors que l'on ne présente pas de symptômes sept jours après avoir été cas contact d'une personne confirmée positive au Covid-19. Le choix du centre DetectAr est laissé à la personne souhaitant se faire tester, la plupart du temps en fonction de la proximité du domicile ou du lieu de travail.
Les activités de détection du Covid occupent l'immense foyer du Teatro Colón ainsi que toute la coursive en rez-de-chaussée, entre les rues Tucumán et Viamonte qui bordent latéralement l'imposant édifice. Cette galerie héberge d'ordinaire l'un des cafés du Colón ainsi que les caisses du théâtre, situées juste en face. L'habitué aurait peine à reconnaître l'endroit : toute la surface de cette galerie est dédiée à ces opérations de prévention du Covid, la sérénité et l'organisation des personnels portant blouses médicales et autres protections antivirales ayant remplacé le ballet convulsif des mélomanes en tenue de soirée en quête d'une collation avant le spectacle ou d'une place à acquérir à la dernière minute. L'opération de dépistage elle-même ne prend pas plus d'une demi-heure. Une fois l'accueil à l'entrée de la galerie passé, la remise d'un deuxième masque à superposer à celui déjà porté, puis l'enregistrement de vos coordonnées effectué, un espace encadré par des paravents vous est désigné. Surprise : le test salivaire auquel on pouvait s'attendre à la lecture des campagnes de prévention sur internet ne concerne que les personnes de plus de 60 ans. Ce sera donc un prélèvement nasal qui délivrera son verdict 20 minutes plus tard. L'attente se fait de l'autre côté de la galerie. Si l'organisation paraît bien rodée et la procédure efficace et très rapide, les conditions d'obtention du résultat du test sont plus discutables puisque celui-ci est donné de vive voix quasiment à la criée, les notions de confidentialité et de secret médical n'étant malheureusement pas culturellement très répandues dans les structures et officines de santé argentines. Un certificat, souvent réclamé par les employeurs, est délivré le jour suivant par le biais d'une messagerie en vogue. Ce même protocole, comme on l'imagine, se déroule dans chacun des centres, certains étant même accessibles sans descendre de voiture à la façon d'un drive.
Reste l'épineuse question du choix du Colón pour ce genre d'opération, certes louable et salutaire en soi compte tenu du contexte, mais est-ce vraiment le bon endroit pour cela ? S'agit-il d'ailleurs d'une opération sanitaire ou de communication ? Le gouvernement de Ville de Buenos Aires, dont dépend le Teatro Colón, a effectivement décidé voici quelques mois déjà de faire de l'un des monuments historiques les plus réputées de la ville un centre de dépistage Covid, engendrant nombre de polémiques autour de cette décision, tant du côté du public du théâtre que des artistes coutumiers de la grande scène. Si cette décision pouvait se justifier lorsque le théâtre était encore fermé au public, le maintien de ces activités peut surprendre alors que cette prestigieuse scène lyrique argentine a récemment dévoilé son programme pour la saison 2021. Il paraît étrange, d'un point de vue sanitaire, que des spectateurs venant voir un opéra ou entendre un concert aient pu fouler quelques jours auparavant le même sol en marbre du foyer du théâtre pour se faire tester. Sans compter la sécurité sanitaire de ceux, administratifs, personnels techniques, artistes, qui y travaillent quotidiennement, même si les protocoles mis en place semblent avoir fait leur preuve pour le moment. Il est vrai que l'accélération de la pandémie et des contaminations a sans doute laissé peu de marges de manœuvre. Le spectateur, récemment testé ou non, aura-t-il la possibilité de voir le premier opéra de l'année ? Les conditions sanitaires permettront-elles d'assurer la programmation initialement prévue ? Une représentation en streaming est-elle envisagée en cas d'interdiction de présence du public ? Tout, pour le moment, reste en suspens. Le calendrier de la saison 2021 du Colón a d'ailleurs d'ores et déjà été bousculé, reculé de plusieurs semaines pour la représentation du premier spectacle d'opéra de la saison prévu, Altri canti, autour de madrigaux de Monteverdi. Nous donnions début mars en exclusivité le casting de cette programmation de réouverture lyrique, en voici quelques images inédites, d'où resplendissent les décors du scénographe du spectacle, Nicolás Boni. Monteverdi, plus fort que le Coronavirus, vraiment ? ¡Ojalá! (*) Réponse le 08 juin prochain, suite à un nouveau report de la programmation initialement prévue.
(*) "Si seulement !"