LA COMTESSE ADELE AGRESSEE A ROUEN EN PLEIN DIMANCHE APRES-MIDI PAR LA BANDE DU COMTE ORY !
Après s’être tenu à carreau pendant d’assez longues années, le tristement célèbre Comte Ory semble bien décidé à refaire parler de lui : suite à son apparition parisienne dans le 2e arrondissement fin 2017, il a tenté récemment, sans succès heureusement, de faire tomber sous sa coupe les habitantes de Liège ou de Rennes . Dimanche après-midi, plusieurs femmes de l’aristocratie rouennaise ont bel et bien failli être à leur tour dupées par le sinistre séducteur. Le Gouverneur (Jean-Vincent Blot), chargé de refréner les ardeurs du jeune comte et de le remettre dans le droit chemin, a une fois encore failli à sa mission, malgré ses admonestations proférées d’une voix sombre et parfaitement intelligibles. Heureusement, la résistance féminine s’est organisée sous la houlette de la Comtesse Adèle (Perrine Madoeuf), délicieusement frustrée et légèrement nymphomane au premier acte, outrée mais pas trop (et même de moins en moins) au second. Sa silhouette de star de cinéma et ses accents enflammés, impeccablement virtuoses, chantés d’une voix longue et très homogène, ont excité la curiosité du Comte Ory : les secours de Dame Ragonde (à l’aigu un peu court mais irrésistible de présence et de drôlerie) n’ont pas été de trop pour « braver l’entreprise du méchant ».
C’est peu dire que les amies de la Comtesse ont eu du mérite, car il faut un sens moral aigu et beaucoup de vertu pour résister à un tel agresseur, crédible en moine lubrique (sorte de gourou en soutane et veste de cuir, obsédé par le sexe et l’argent, usant de l’hypnose pour faire parler et séduire ses victimes) autant qu’en nonne – faussement – apeurée : Mathias Vidal, de toute évidence, s’amuse beaucoup sur scène ; en légère difficulté dans le registre aigu au premier acte, la voix trouve son assise lors du second. Toujours compréhensible y compris dans les passages virtuoses, le ténor, contrairement à d’autres titulaires du rôle (Juan Diego Florez, Philippe Talbot), passe ses aigus en voix mixte ou en voix de tête, plus fidèle en cela à une tradition du chant propre au répertoire français de l’époque. Selon son habitude, le Comte Ory était accompagné de ses habituels acolytes : son page Isolier (Rachel Kelly, très crédible en travesti, au médium manquant parfois un peu de projection mais à l’aigu radieux et à la technique belcantiste parfaitement aguerrie) et un Raimbaud (Philippe Estèphe) qui se sort mieux que bien de son air ingrat du second acte, parvenant, par son chant rigoureux et sa diction très nette, à soutenir l’intérêt de la page malgré le caractère très répétitif de la première partie de l’air.
Le plan machiavélique mis en œuvre par Ory a cette fois-ci été planifié par le metteur en scène Pierre-Emmanuel Rousseau et dirigé par le chef Luciano Acocella. Après Les Fées du Rhin à Tours et Le Barbier de Séville, Pierre-Emmanuel Rousseau multiplie les succès en cette saison 2018-2019. Sa transposition de l’œuvre dans les années 1950 fonctionne étonnamment bien pour une action qui, dans l’imaginaire collectif, est si profondément ancrée dans le Moyen Âge. Comme à l’accoutumée, les décors et les costumes (qu’il signe également) sont un régal pour l’œil, et la direction d’acteurs est extrêmement précise. Certaines idées sont par ailleurs originales et séduisantes, telle celle consistant à faire d’Adèle une femme prête à succomber aux charmes de son séducteur, et finalement triste et déçue à l’annonce du retour des soldats…
Luciano Acocella, à la tête d’un orchestre de l’opéra de Rouen Normandie riche en couleurs et précis, dirige avec beaucoup de goût et de légèreté tout en maintenant la tension dramatique, gomme ce qui, sous d’autres baguettes, peut s’avérer parfois un peu lourd (l’introduction du premier acte) et en met très joliment en valeur certains détails de l’orchestre (l’accompagnement, par les vents notamment, du duo entre Adèle et le Comte à l’acte II).
Je me dois enfin de prévenir les Rouennais, plus particulièrement les femmes dont les maris sont momentanément absents : le Comte Ory, nullement découragé par son échec auprès de la Comtesse Adèle, renouvellera ses méfaits très prochainement : les 22, 24 et 26 janvier prochains.