CIMAROSA : LE MARIAGE SECRET DE MOZART ET ROSSINI
Il y a bien eu la production de Nancy en 2017 (la reprise d’un spectacle zurichois) puis celle de Liège un an plus tard. Il n’empêche : les nouvelles productions du Mariage secret sont rarissimes, et il est même devenu difficile de voir et/ou d’écouter l’œuvre en DVD ou en CD. (On peut encore trouver le DVD du spectacle, propre mais un peu sage, de Michael Hampe, ou bien importer d’Italie la version que dirigea Francis Travis à Lugano il y a plus de trente ans ; les versions CD de Barenboim ou Sanzogno ne sont plus éditées ; d’autres, souvent anciennes et live, peuvent encore se trouver…)
Ce désamour est assez mystérieux, et dire que l’œuvre ne saurait rivaliser avec Mozart et Rossini ne suffit pas à l’expliquer – faute de quoi plusieurs centaines d’ouvrages ne seraient jamais montés !
Certes, les personnages sont plus des prototypes que des êtres de chair et de sang, et ils n’émeuvent que rarement ( à l’exception de Carolina dans la toute fin de l’ouvrage). Mais ils sont habilement brossés et s’affrontent dans des joutes verbales et scéniques fort divertissantes. Il a été répété à loisir que l’œuvre s’inscrivait dans le sillage de Mozart et annonçait Rossini. Cette affirmation est constamment vérifiable : l’inspiration mozartienne est omniprésente (le gazouillement des cordes dans l’ouverture fait songer à celui des ouvertures de Cosi ou des Noces ; le duo Carolina/Paolino qui ouvre l’acte I rappelle celui de Suzanne et Figaro ; l’exhortation qui est faite au Comte Robinson de sortir de la chambre de Carolina au dernier acte et l’effet de stupéfaction qui s’ensuit évoque bien sûr également Les Noces). Mais la musique et le livret préfigurent aussi nettement certains opéras de Rossini, parmi les plus fameux : au finale du premier acte, les différents personnages tentent vainement d’expliquer la situation à Geronimo en caquetant à qui mieux mieux, comme le font les personnages du Barbier à l’officier de police (également dans le finale du premier acte du Barbier) avant que tous les personnages ne semblent perdre l’esprit dans un ensemble trépidant : « Mi par d’esser con la testa… » chez Rossini / « Le orecchie non stancate… » chez Cimarosa. Les deux sœurs et leur idiot de père annoncent par ailleurs directement Cenerentola, et le quintette du second acte dans lequel la comédie semble tourner au drame (« Sol tre giorni alla partenza/Io vi chiedo per pietà ») provoque chez l’auditeur le même émoi que l’ensemble dans lequel Cenerentola demande à son père la permission d’aller au bal, ne serait-ce que pour une heure. Enfin, le Comte Robinson préfigure très nettement Dandini, notamment dans sa scène « de la révélation », lorsqu’il annonce à Geronimo qu’il souhaite épouser non pas la fille aînée mais la cadette…
Maria Laura Iacobellis et Vittorio Prato dans le spectacle de Pier Luigi Pizzi
Ces liens étroits qu’entretient l’œuvre avec les univers mozartiens et rossiniens suffisent à la rendre passionnante, en l’inscrivant chronologiquement et esthétiquement dans un continuum aisément perceptible et analysable. Mais ces références n’empêchent nullement d’apprécier l’opéra de Cimarosa pour lui-même et pour ses qualités propres. Plus que les airs, au demeurant relativement peu nombreux, ce sont les duos, trios, ensembles qui captent l’attention et exigent des interprètes (chef et chanteurs) un musicalité et une précision à toute épreuve.
Michele Spotti
Espérons que les directeurs d’opéras se montrent plus curieux et choisissent plus fréquemment de redonner sa chance à cet opéra que Stendhal considérait comme un chef-d’œuvre absolu. Le succès remporté par les représentations de Martina Franca devrait les y inciter !
Il Matrimonio segreto, avec sous-titres français