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Parsifal(s) : des différentes options en matière de mise en scène
Parsifal(s)
Des différentes options en matière de mise en scène
Que ce soit au théâtre ou en DVD, j’ai vu ou revu récemment plusieurs versions de Parsifal, ce qui m’a amenée à m’interroger sur les mérites respectifs des mises en scène. Cet article analyse les différentes possibilités qui s’offrent au metteur en scène d’opéra. Il ne parle pas de la dimension musicale, évidemment essentielle et fondatrice, et encore moins des interprètes, chanteurs, chefs d’orchestres et instrumentistes, qui sont les premiers artisans du succès d’une production. Mais la dimension théâtrale est loin d’être secondaire à l’opéra. Le metteur en scène peut être une aide ou au contraire un obstacle au ravissement qu’attendent les amateurs qui se déplacent dans ces temples de l’art que sont les maisons d’opéra. Amateurs qui sont souvent un peu déçus, il faut oser l’avouer ! Même s’ils ne perdent pas leur passion pour l’art lyrique, les spectateurs pourraient bien demander des comptes à ceux qui sont en charge de leurs plaisirs musico-théâtraux.
Penchons-nous donc sur la petite typologie que m’ont inspirée quelques mises en scène récentes du dernier opus wagnérien. Elle comporte 4 possibilités :
1)Littéralisme : le metteur en scène se contente d’une mise en image, suivant fidèlement les indications du livret (contexte historique, époque, personnages, etc.). Sa touche personnelle, c’est le décor, les costumes, la direction d’acteurs. Cela peut être réussi, c’est reposant, agréable, ça permet de se concentrer sur la musique telle qu’on l’aime, de ne pas violenter les chanteurs (qui sont souvent devenus de bons comédiens), mais cela n’apporte rien de nouveau à l’œuvre. Le risque est l’académisme.
Ex. Paris Bastille, Graham Vick, 1997-2003 : des chevaliers en tunique de lin dans un décor épuré, très simple ; un château de Klingsor inquiétant ; un graal dans une boîte à dévoiler...
Metteurs en scène trop nombreux pour être cités. Mention très bien pour le sublime Hippolyte et Aricie d’Ivan Alexandre en 2012 à l’opéra Garnier, reconstitution minutieuse d’un spectacle d’époque, ou pour le Werther de Benoît Jacquot à la Bastille en 2010. Un souvenir misérable, celui des Maîtres chanteurs de Wolfgang Wagner à Bayreuth en 2001, grasse fête bavaroise en gros sabots à la limite de la caricature.
2)Illustration fantastique : exubérance des décors et des costumes (baroque), ou au contraire stylisation intemporelle (dépouillé), mais pas de message particulier sur le livret de l’opéra. Les trouvailles visuelles servent ici plutôt à « l’ambiance », non à une lecture philosophique de l’œuvre. La dimension esthétique est essentielle, le visuel complétant harmonieusement l’auditif. Le décorateur (ou « scénographe ») obtient d’ailleurs souvent une bonne partie de la renommée critique (qu’on pense au tandem Chéreau/Peduzzi). Quand c’est réussi, on jouit de l’œuvre sous son meilleur éclairage, sans pour autant accéder à une profondeur d’interprétation radicalement nouvelle.
Ex. Audi/Baselitz, Munich 2018 : rideaux de scène signés Baselitz, très beaux décors de forêt pétrifiée aux premier et troisième actes, sanctuaire du Graal en enchevêtrement de poutres évoquant une cathédrale ruinée, pour le deuxième acte château de carton-pâte ébréché qui s’effondrera lentement sur lui-même au moment où Parsifal se refusera à Kundry, costumes complexes et structurés transformant les corps en forteresse ou au contraire les dévoilant dans leur humanité faillible et pitoyable (« costumes de peau flétrie » pour les filles-fleur et les chevaliers du Graal).
Autres metteurs en scène : Chéreau, Wilson (tous deux à la limite avec le type 3)…
3)Transposition : le metteur en scène transpose l’histoire pour souligner une dimension présente dans le livret, mais d’ordinaire pas immédiatement perceptible par le spectateur lambda. Les symboles sont pleinement utilisés pour faire comprendre les méandres de l’œuvre, éclairant tel ou tel aspect de sa signification. Selon moi le type le plus intéressant, excitant, stimulant pour l’esprit, qui fait découvrir une facette de l’œuvre à côté de laquelle on était passé et met en perspective la condition humaine… Enfin un vrai travail de mise en scène, d’interprétation ! Mais non sans danger car il peut verser dans le quatrième type.
Ex. Stefan Herheim, Bayreuth, 2008-2012 : une histoire de l’Allemagne depuis son unité – avec un premier acte se déroulant dans la Villa Wahnfried –, la guerre de 14-18, la République de Weimar, le IIIème Reich, la désolation de l’après-guerre, les agitations du Bundestag, l’épuisement de la démocratie parlementaire, et enfin la communauté régénérée par une spiritualité retrouvée ; et le tout avec une dimension psychanalytique (Parsifal en costume marin, fuyant une mère abusive).
François Girard, Lyon 2012 et Metropolitan 2013 : une fable écologiste où des êtres perdus errent sur une terre desséchée, qui doit être revitalisée, non par le sang qui envahit le plateau au deuxième acte, mais par l’eau symbole de pureté et de vie.
Autres metteurs en scène adeptes de ce type de production : Warlikowski, Guth, Carsen, Chéreau, Wilson (ces deux derniers à la limite du type 2)…
4)Trahison : le metteur en scène utilise le livret contre la volonté de l’auteur, en tordant le sens du texte pour répondre à ses propres préoccupations (en général sociales). Prétendument pour « dépoussiérer », « revisiter », « moderniser », « déconstruire »… Honteux, déplorable, insupportable ; nuit à l’œuvre au lieu de l’éclairer ; particularise là où il faudrait viser l’universel ; à l’extrême se révèle préjudiciable à l’écoute et nécessite parfois de fermer les yeux pour garder le plaisir musical ; in fine, désole les amateurs, qui se voient infliger une sorte de rééducation punitive là où ils espéraient une fête pour les sens.
Ex : Richard Jones, Paris Bastille, 2018 : Montsalvat est une secte dont les chevaliers du Graal sont les adeptes et Amfortas le gourou ; et comme les sectes, c’est mal, Parsifal en délivre les adeptes dans la scène finale. Sur le site de l’Opéra, Richard Jones a ce propos éclairant : « Il faut briser la règle ». Mais depuis 50 ans qu’on la brise, la règle, il ne restera bientôt plus une pierre de l’édifice patiemment construit par les générations passées !
C’est malheureusement un type de mise en scène fréquent à l’Opéra National de Paris, salle fortement subventionnée où le plaisir des spectateurs compte sans doute moins que la vanité d’artistes qui se veulent « disruptifs ». Témoin l’affreuse Damnation de Faust d’Alvis Hermanis en 2015 à la Bastille, où il fallait subir un Stephen Hawkings en fauteuil roulant, double brisé d’un Faust (chanté par Jonas Kaufmann) quasiment réduit à de la figuration !
Metteurs en scène : Marthaller, Sellars, récemment Muscato pour son Carmen « féministe » à Florence, et tant d’autres qu’il vaut mieux ne pas citer…
Evidemment, un même metteur en scène peut passer d’un type à l’autre selon les œuvres, même si chacun a son type de prédilection. On peut d’ailleurs se demander si, en accédant à la notoriété, ils ne sont pas enfermés dans un type propre, condamnés à la répétition de mises en scène comparables avec lesquelles ils tentent de bâtir leur « style », envers et contre la diversité des œuvres. Le style « japonisant » de Robert Wilson est ainsi bien connu. Sellars se sent obligé de transposer l’œuvre dans un contexte radicalement étranger (camp de vacances, fast-food, prison…). Et Warlikowski dispose des éléments de salle de bain dans tous ses décors !
Dans un même spectacle, la mise en scène peut aussi faire excursion hors de son champ de prédilection à certains moments. Ainsi dans la mise en scène Audi/Baselitz : les bizarres costumes « façon vieille peau flétrie » des frères de Montsalvat et des filles-fleur font basculer la mise en scène du type 2 (illustration baroque) vers le type 3 (transposition) voire le type 4 (trahison). Car le rapport qu’ils établissent entre les chevaliers du Graal et les créatures de Klingsor a manifestement un sens. Sens qui m’a semblé pour le moins mal venu. S’il s’agit d’une mise à nue cruelle de la fragilité humaine, en quoi s’applique-t-elle de la même façon aux moines ascétiques – au moment de la cérémonie du Graal ! – et aux filles-fleur tentatrices – en vérité sans aucun sex-appeal ? À moins que j’aie mal compris l’intention du metteur en scène ! Au contraire, dans la production de Jones, c’était une bonne idée de représenter les filles-fleur costumées en maïs transgénique, hypersexualisées, comme des sex-toys sur le présentoir d’un sexshop ou des prostituées aguicheuses dans la vitrine d’un « quartier rouge » d’une ville allemande. Le deuxième acte était une appréciable parenthèse de type 3 (transposition) au sein d’un spectacle globalement de type 4 (trahison).
La transition entre le type 2 et le type 3 est souvent subtile. Par un glissement imperceptible, on passe de l’illustration à la transposition. Quant à la transition entre le type 3 et le type 4, elle est fonction avant tout du talent et de l’honnêteté du metteur en scène. Aucun d’entre eux ne revendique ouvertement la trahison de l’œuvre qu’il est censé servir. Mais servir vraiment, ce n’est pas facile… Kundry l’apprend peu à peu dans l’œuvre qui fait notre exemple : « Dienen, dienen… » murmure-t-elle au troisième acte. Apaisée, réconciliée, sauvée. Puissent nos metteurs en scène s’inspirer de ce bel exemple d’humilité pour réjouir les amateurs ! Eux attendent de la beauté et de l’intelligence, pas des élucubrations plus ou moins moralisatrices. À bon entendeur…