En Bref
Création de l'opéra
Lohengrin est un opéra romantique en trois actes écrit et composé par Richard Wagner entre 1845 et 1848. Wagner manifeste très tôt son intérêt pour l’histoire de Lohengrin. Dès les années 1840, il en lit des éditions dans sa bibliothèque de Dresde qui contient également la matière de ses futurs opéras : Perceval (le père de Lohengrin) et Tristan (lui aussi chevalier de la Table ronde) parmi d’autres poèmes médiévaux.
Le compositeur travaille au livret de Lohengrin dès les années 1845-46. À cette époque, il approfondit le passé musical en le tournant vers l’avenir : il dirige sa propre version arrangée de l'Iphigénie en Aulide de Gluck et il tire les enseignements de son admiration absolue pour la 9ème Symphonie de Beethoven en intégrant sa maîtrise du contrepoint (l’art d’associer simultanément différentes mélodies) ainsi que des thèmes musicaux, reliés entre eux, récurrents et transformés.
Wagner compose la musique de son troisième opéra majeur entre les printemps de 1846 et de 1848, dans une ville de Dresde marquée par un climat insurrectionnel européen qui va jusqu’à faire éclater de puissantes révoltes à Paris en février 1848 et à Vienne le mois suivant. Ce climat inspire à Wagner une révolution de la place de l’opéra, qui ne doit plus être l’apanage de la cour mais du peuple. C’est dans cet esprit que le compositeur, qui est aussi son propre librettiste, emprunte ses thèmes à la religion chrétienne ainsi qu’à des contes populaires (la transformation d’un enfant en cygne se retrouve chez les frères Grimm ainsi que dans Les Cygnes sauvages d’Andersen) et non pas aux mythes de l’Antiquité qui sont la chasse gardée de l’aristocratie avec ses tragédies lyriques. Le roi, tel qu’il est figuré dans Lohengrin, distille aussi un message politique, prônant l’espoir d’un souverain davantage pieux, attentif à la justice et pouvant réunir une grande Germanie libre. Les autorités de Dresde voient toutes ces idées d’un très mauvais œil. Elles refusent de laisser jouer Lohengrin et le torchon brûle lorsque Wagner prend un rôle actif dans l’insurrection de la ville. Ces événements contraignent le compositeur à l’exil lorsque les troupes prussiennes regagnent le contrôle en mai 1849. Alors qu’un mandat d’arrêt est décrété contre lui, il parvient à fuir en Suisse à l’aide d’un faux passeport et grâce à l’important soutien de Franz Liszt, futur beau-père de Wagner et dédicataire de Lohengrin dont il dirige la création au Großherzogliches Hoftheater de Weimar le 28 août 1850 (à l’occasion des célébrations en l’honneur de Goethe dont c’est le jour anniversaire). La première est un succès, malgré l'inadéquation du ténor Karl Beck aux exigences d'un rôle wagnérien. Le compositeur est même contraint d'enlever la seconde partie du monologue In fernem Land du troisième acte (seconde partie qui ne sera reprise qu'en 1936 à Bayreuth par Franz Völker à la demande expresse d'Hitler). Wagner ne peut pas même se rendre à la création de son œuvre, immobilisé par les raisons politiques, une maladie ainsi qu’une dépression suite à l’échec du projet révolutionnaire français.
Une œuvre fondamentale
Lohengrin tient une place capitale dans l’œuvre de Wagner et même dans l’histoire de l’opéra, notamment grâce à l’un de ses premiers admirateurs, le jeune roi Louis II de Bavière (sans doute flatté par la première scène qui appelle un prince à réunir l’Empire allemand). Ce roi que l’on nommera "Der Märchenkönig" ("Le Roi des Contes de Fées"), construira son château idéal "Neuschwanstein" (“Nouveau Château du Cygne”) d’après Lohengrin dont l’histoire est basée sur le mythe du Chevalier au Cygne. Il sera également le mécène de Wagner, lui donnant des conditions idéales pour composer et construisant même le Théâtre de Bayreuth pour le cycle épique de L'Anneau des Nibelungen et le grand projet esthétique de Wagner. Lohengrin est aussi une production dans laquelle Wagner consolide son esthétique, associant le thème héroïque, l’ampleur du chant et la richesse du tissu orchestral. Les personnages de l’opéra y sont des incarnations pures : le héros, l’amante virginale ou le roi fier et sage, tout comme le sont leurs sinistres opposants.
Clés d'écoute de l'opéra
Dans Lohengrin, Wagner associe à la fois l’innovation esthétique qui restera marquée comme typiquement allemande avec un rappel de l’opéra italien. Il unit également les sentiments les plus expressifs avec la religiosité.
Le Prélude remplace l’Ouverture
Dès ses origines, l'opéra commence par une “Ouverture” instrumentale. Le premier opéra, l'Euridice (1600) de Péri démarre avec une ritournelle. De même, l'Orfeo (1607) de Monteverdi commence avec une fanfare de trompettes. L'ouverture a pour fonction de présenter les thèmes musicaux qui vont se faire entendre tout au long de l'opéra. Les premiers opéras de Wagner (Le Vaisseau fantôme de 1840 et Tannhäuser de 1845) commencent eux aussi par une ouverture. Lohengrin marque un tournant puisqu’il s’ouvre par un “Prélude”. Ce terme est emprunté en musique à une tradition instrumentale baroque (répandue chez les clavecinistes français Couperin ou Rameau et immortalisée par les fameux Préludes et Fugues de Jean-Sébastien Bach). L’idée n’est pas d’énoncer des thèmes mais de faire l’introduction d’un cycle unifié de pièces. La différence est fondamentale car, avec Wagner, elle souligne la continuité dramatique de tout un opéra (Wagner développe un concept fondamental pour sa composition : le durchkomponiert ou “composé de part en part” qui souligne cette continuité dépassant les coupures en airs et récitatifs de l’ancien opéra). Le prélude ne cite plus des thèmes, mais il fait un travail bien plus subtil de référence en introduisant des tonalités, des ambiances et des motifs qui inspireront différentes situations émotionnelles au fil de l’opéra. La notion de prélude et la continuité de la composition renforce également l’union indissociable de la musique et du texte, enfin elle immerge irréversiblement le spectateur dans une œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk en allemand, un concept forgé par Wagner). C’est dans ce même esprit d’immersion que Wagner sera le premier à éteindre la salle lors des représentations et à construire Bayreuth de sorte à ce que le public ne voit pas l’orchestre mais seulement la scène.
Le plus italien des opéras de Wagner
Le Vaisseau fantôme et Tannhäuser donnaient une nouvelle importance à l’orchestre, à sa richesse et à sa continuité. Avec Lohengrin, Wagner entérine cette évolution et il y ajoute une construction du chant digne de l’opéra italien : tout en présentant un opéra continu, des airs, duos et ensembles restent bien repérables. Wagner confronte ainsi tour à tour Lohengrin avec Elsa dans leur serment d’amour, avec Telramund pour leur combat, les réunit dans un quintette avec Ortrud et le roi, l’ensemble étant par la suite adjoint du choeur.
La consolidation des leitmotivs
Dans Lohengrin, Wagner franchit également une étape décisive dans son emploi des leitmotivs. Ces motifs musicaux associés à un personnage, un objet, un concept étaient préfigurés dans les deux opéras qui précédent Lohengrin (Le Vaisseau fantôme de 1843 et Tannhäuser de 1845). Le principe du motif sera théorisé dès l’année qui suit la création de Lohengrin (dans l’essai fondamental pour l’esthétique wagnérienne Drame et opéra de 1851). Les leitmotivs seront enfin généralisés dès l’opéra suivant (L'or du Rhin dont la composition débute dès 1854 et qui constitue le premier épisode de la Tétralogie consacrée à L'Anneau des Nibelungen). Lohengrin est donc l’œuvre charnière du leitmotiv wagnérien. Cet opéra fourmille de motifs musicaux associés aux éléments fondamentaux de la pièce : dès le début de la partition, l’orchestre expose le leitmotiv du Graal. Ce motif contient même le leitmotiv du cygne, en blanches lentes et majestueuses, qui sera joué lors de l’arrivée de celui-ci à la troisième scène du premier acte. Wagner illustre ainsi musicalement le lien entre les éléments fondamentaux de l’histoire et renvoie déjà à la scène finale où le Chevalier au cygne retournera vers le Graal. Elsa dispose d’un thème qui accompagne son entrée sur scène. Ortrud fait entendre le sien au début de l’Acte II. Un leitmotiv associé à l'interdit est entendu lorsque Lohengrin intime à Elsa de ne je jamais lui demander son nom, un thème illustre le doute, un autre le jugement divin. Par définition, l’intérêt de ces motifs tient au fait qu’ils reviennent régulièrement, accompagnant les personnages et situations qu’ils illustrent. Tout le génie de Wagner consiste alors à associer ces motifs et à leur faire subir différentes modifications (accélérations, ralentissements et métamorphoses) qui accompagnent l’évolution de l’intrigue et du vécu des personnages.
Le mystère religieux
Lohengrin est un opéra nimbé de mystère : l'identité secrète du personnage-titre est l'élément fondamental de l'intrigue et les autres caractères se dévoilent peu à peu. Ortrud se découvre en sorcière et, sous son influence, Telramund devient un traître. Enfin, le cygne réapparaît en Gottfried. Le recours au mystère et à la transfiguration renvoie également à la religion et en particulier à la chrétienté : l’opéra est conçu par Wagner comme un outil unique permettant de transcender texte et musique en une expérience religieuse, tout en relatant des grands mythes sacrés. Le mystère est aussi une référence à l’une des formes ancestrale de l'opéra qui s’appelait justement mystère (orthographié “mistère”, du latin médiéval misterium qui signifie cérémonie). Ce genre théâtral du Moyen-Âge chrétien contenait du chant pour représenter les épisodes de la liturgie. C'est exactement ce même esprit qui se retrouve dans Parsifal, œuvre consacrée au père de Lohengrin plus de 30 années après. Wagner a d’ailleurs nommé Parsifal un « festival scénique sacré » et l’œuvre est considérée comme une messe à l’issue de laquelle personne n’applaudit dans le saint des saints que représente le Théâtre de Bayreuth. Ces liens entre les œuvres sont d’ailleurs l'une des caractéristiques de l’esthétique wagnérienne et de ses leitmotivs qui résonnent d’opus en opus. Les concepts aussi reviennent à travers différents opéras, comme l’idée d’un Dieu qui échoue à s’occuper des affaires humaines, qu’il s’agisse de Wotan dans Le Ring ou du divin chevalier Lohengrin.
L’identité secrète
Le fait qu’Elsa ne doive pas demander le nom du chevalier ni chercher à connaître son identité est un thème qui se retrouve dans de nombreux mythes occidentaux. Dans l’Antiquité déjà, Psyché ne devait pas demander son identité à Cupidon ni même chercher à le voir. Elle bravera l’interdit et causera la fuite du dieu de l’amour. Dans le même esprit, Orphée devait résister à l’envie de regarder Eurydice qu’il alla chercher aux enfers (un thème souvent mis en musique et aux origines même du genre de l’opéra). Ou encore, Héra punit Sémélé d'avoir été l'amante de Zeus en lui conseillant de demander à voir le vrai visage du Dieu des Dieux : la vision de foudre et d'éclairs la brûla vive. L’idée de la connaissance punie renvoie aussi à Ève, dans un registre religieux tout wagnérien. Enfin, l’intrigue de Turandot repose elle-aussi sur un nom qui ne doit pas être recherché.