En Bref
Création de l'opéra
Le dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1906) s’inspire des contes traditionnels de Peter Christen Asbjørnsen (admirateur des frères Grimm), mais aussi de membres de sa famille pour écrire Peer Gynt (prononcer Père Günt), anti-héros satirique, vagabond farcesque, pamphlet vivant contre la société égoïste et recluse. En pleine écriture, il demande à son compatriote Edvard Grieg (1847-1903) de lui composer une musique de scène pour sa pièce. L’histoire de Peer Gynt et telle que racontée par Ibsen est une suite de numéros, mêlant les univers, les lieux, les temps. La musique contribue ainsi à construire des mondes et à renforcer la cohérence de l’ensemble. Cette cohérence musicale, le lien entre texte et partition fait de Peer Gynt l’œuvre la plus proche d’un opéra jamais composée par Edvard Grieg.
Musique de scène
Au XIXe siècle, les grands théâtres se devaient d'avoir un orchestre et les pièces étaient accompagnées par de la "musique de scène". Une ouverture musicale était ainsi jouée avant la représentation pour présenter les caractères de la pièce, déployer des thèmes qui seraient associés à des événements ou des personnages de l'intrigue. La musique revenait ensuite après les entractes, entre des passages déclamés (intermezzo), voire pendant les dialogues (mélodrame). Le théâtre et la musique pouvaient ainsi tisser des liens, se développer en correspondances et harmonie. Ce fut le cas pour Peer Gynt, qui reçoit un triomphe dès sa création, notamment dû à la musique de Grieg. Au contraire et concernant un autre célèbre exemple, ce ne fut absolument pas le cas pour le public de L'Arlésienne (musique de scène de Bizet pour la pièce d’après les Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet créée le 1er octobre 1872 au Théâtre du Vaudeville de Paris) à l'époque de sa création : la pièce de Daudet essuyant un cuisant échec, contrairement à la musique de Bizet adaptée ensuite pour orchestre symphonique.
Clés d'écoute de l'opéra
Harmonie et orchestre
Le génie de Grieg repose notamment sur sa science de l’harmonie et la richesse de son orchestre. Il déploie ainsi les couleurs populaires nordiques, son matériau musical fondamental (comme Ibsen varie les mythes fondateurs scandinaves). L’esprit populaire norvégien irrigue le livret d’Ibsen et se mêle au génie orchestral des mariages de timbres pour les airs populaires de Grieg.
Suites de tubes
Les compositeurs (ou bien leurs éditeurs) décident parfois d’extraire des pièces musicales de leurs œuvres théâtrales pour qu’elles puissent être jouées en concert. Ce sont des “suites”, qui peuvent être tirées d’un opéra pour un instrument (comme par exemple la suite pour clavecin arrangée par Rameau lui-même à partir de ses Indes Galantes), d'un ballet (Tchaïkovski extrait une suite orchestrale de Casse-noisette et il la dirige même avant l’exécution du ballet), d'une musique de scène destinée à une pièce de théâtre (L'Arlésienne de Bizet ou bien Peer Gynt). Edvard Grieg choisit huit numéros sur les 90 minutes qui composent la partition et il les arrange en deux suites pour orchestre symphonique. La première suite s’ouvre sur le célébrissime “Au matin” et son thème en duo flûte-hautbois. Les deux suites se ferment également sur des morceaux mémorables. Dans l'antre du roi de la montagne clôt la première avec son fameux duo de pizzicati (cordes pincées) des violoncelles et les hautbois piqués, avant une fulgurante accélération de cordes et percussions. Enfin, la Chanson de Solveig déploie son ample mélancolie (« L'hiver peut s'enfuir, le printemps bien aimé peut s'écouler. Les feuilles d'automne et les fruits de l'été, Tout peut passer. Mais tu me reviendras, Ô mon doux fiancé, Pour ne plus me quitter ») Le fait que Grieg compose ainsi deux suites d’orchestre montre qu’il est heureux de son travail, mais ce geste est également motivé par une forme de frustration : c’est le théâtre qui avait imposé à Grieg de produire de petits morceaux alors qu’il aurait souhaité donner un souffle orchestral à son œuvre (souffle retrouvé par la dimension des suites).
Autre forme de réadaptation et preuve de succès, Peer Gynt est le sujet de nombreux films et téléfilms à travers le monde, tout au long du XXe siècle (sans parler des nombreuses publicités qui reprirent ces thèmes, parmi les plus célèbres, toutes musiques confondues).