En Bref
Création de l'opéra
Les origines de l'œuvre
L’opéra s’inscrit dans la longue lignée d’œuvres lyriques à thématiques fantastiques, qui avait déjà vu naître entre autres très nombreux exemples, Le Freischütz de Weber (1821) ou Le Vampire de Marschner (1828) en Allemagne, Maria de Rudenz de Donizetti en Italie (1838), ou encore, en France, La Dame blanche de Boieldieu (1825), ou Le Revenant de Gomis (1833).
L’histoire de La Nonne sanglante est à l’origine une légende allemande médiévale. Johann Karl August Musäus (1735-1787), un collecteur de contes – comme le furent après lui les frères Grimm – proposa une version écrite de cette légende dans Die Entführung, récit paru en français sous le titre de « L’Enlèvement » dans le volume Contes de Musæus (1826). Le récit fut également adapté par l’auteur anglais Matthew Gregory Lewis (1775-1818) dans le quatrième chapitre de son roman Le Moine (1796). Mais surtout, Anicet-Bourgeois et Julien de Mallian en firent un drame en cinq actes, portant le même titre que le livret de Scribe et Delavigne : ce drame La Nonne sanglante fut créé à Paris en 1835 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.
La Nonne sanglante dans l'œuvre de Gounod
Il s’agit du deuxième opéra de Gounod, alors âgé de 36 ans. Il avait déjà composé et fait représenter Sapho à l’Opéra de Paris en 1851, et proposera, quatre ans plus tard, l’opéra-comique Le Médecin malgré lui au Théâtre Lyrique (1858). Le livret de La Nonne sanglante, rédigé par Scribe et Delavigne (les librettistes de Robert le diable de Meyerbeer, créé en 1831 à l’Opéra de Paris) avait déjà intéressé Verdi et Berlioz, lequel abandonna le projet après avoir cependant composé plusieurs pages de ce qui aurait dû être un opéra en quatre actes. Scribe, devant le renoncement de Berlioz, sollicita d’autres compositeurs dont Gounod qui accepta, une commande de l’Opéra de Paris d’un Grand Opéra en cinq actes pouvant difficilement être refusée par un jeune musicien en quête de reconnaissance.
La réception de l’œuvre
L’opéra de Gounod rencontre un succès public médiocre. La critique ne se montre guère enthousiaste, mais réserve plutôt ses traits aux librettistes : le texte de La Nonne sanglante serait loin d’égaler ceux des œuvres précédentes de Scribe. Maurice Bourges, qui fait le compte-rendu de la première dans la Revue et Gazette musicale de Paris du 29 octobre 1854, estime que l’œuvre traîne en longueur, et surtout que son intérêt va décroissant au fil des cinq actes : les trois derniers actes ne proposeraient rien qui permette au compositeur de véritablement faire valoir son talent. Même remarque pour Théophile Gautier (compte rendu paru dans La Presse des 17 et 24 octobre 1854), même s’il recule d’un acte le moment où l’intérêt pour l’intrigue disparaît : c’est, selon lui, à la fin de l’acte III que « le livret perd la tête et ne sait plus où il va ». Les jugements se font moins sévères concernant la musique : plusieurs pages sont jugées intéressantes, prometteuses, voire extrêmement réussies, même si les critiques relèvent à l’envi les œuvres précédentes dont Gounod se serait plus ou moins directement inspiré : La Juive ou Le Juif errant d’Halévy, Le Revenant de Gomis, Les Huguenots ou Robert le diable de Meyerbeer. Gautier, enthousiaste, déclare néanmoins que La Nonne sanglante est « une des œuvres les plus complètes et les plus grandioses de ce temps-ci » ; et Maurice Bourges, en dépit de quelques réserves, estime qu’il s’agit d’une partition « fort distinguée, digne de réussite, et qui l’atteindrait si les auteurs se condamnaient d’eux-mêmes et tout de suite à de larges mais salutaires amputations ».
Quoi qu’il en soit, l’œuvre ne connaît que 11 représentations : le Directeur de l’Opéra Nestor Roqueplan est congédié et son successeur, François-Louis Crosnier, déclare que « pareilles ordures » ne seraient plus jouées dans son théâtre.
Clés d'écoute de l'opéra
Grand Opéra français et opéra fantastique
Comme Robert le Diable, La Nonne sanglante présente plusieurs caractéristiques typiques du Grand Opéra français : découpage en cinq actes, place importante accordée aux chœurs, présence d’un ballet (à l’acte IV, pour le mariage de Rodolfe et d’Agnès de Moldaw), livret mêlant intrigue sentimentale sur fond de querelles politiques à une époque historique déterminée (rivalité entre deux clans ennemis à l’époque des croisades). Comme Robert le Diable également, l’œuvre comporte une dimension fantastique destinée à susciter l’effroi des spectateurs et se prêtant à des effets de mise en scène spectaculaires : les quatre apparitions de la Nonne, et surtout la métamorphose du château ruiné en un palais somptueux pour la cérémonie d’un mariage « fantastique » à l’acte II.
Cette dimension fantastique permet à Gounod de proposer plusieurs pages musicales destinées à impressionner le public : l’introduction de l’œuvre elle-même frappe les critiques, avec ses « sonorités sinistres », « les tenues plaintives des cors », « les gémissements lamentables et chromatiques des violons » (Maurice Bourges, Revue et Gazette musicale). L’acte II, avec la première apparition de la Nonne, le tableau du château en ruines, sa métamorphose en palais éblouissant (la page musicale évoquant cette métamorphose est, selon Maurice Bourges, directement inspirée du lever de soleil du Désert de Félicien David), la « Marche des Trépassés », permet au compositeur d’utiliser toutes les ressources vocales et instrumentales permettant de créer une ambiance lugubre et effrayante.
Les principaux airs de la partition sont réservés essentiellement au ténor (Rodolfe) et au page Urbain (soprano). Très curieusement, les rôles des deux héroïnes ne comportent aucun solo, ce qui fut d’ailleurs reproché à Gounod lors de la création. L’œuvre donne également à entendre de grands ensembles (les finales des actes) et surtout de nombreux duos.