Grand oral : les candidats proposent leur production lyrique
C’était la nouveauté très attendue de cette campagne présidentielle.
Sollicités par l’Opéra de Paris et le Ministère de la Culture, les candidats devaient proposer une mise en scène d’une œuvre lyrique : celle-ci serait ensuite programmée dans les différentes maisons françaises pendant la durée du quinquennat. Cette production doit permettre aux électeurs de cerner la sensibilité artistique des aspirants à la fonction suprême et d’illustrer d’une manière nouvelle les enjeux de leurs programmes.
Le moins que l’on puisse dire c’est que les candidats et leur équipe de campagne se sont prêtés au jeu à l’exception de Nathalie Arthaud qui a justifié son refus de participer en comparant l’opéra à « une institution bourgeoise et excluante, un entre-soi entre puissants que la révolution devra briser pour redistribuer l’argent des cachets aux travailleurs »
Philippe Poutou propose une mise en scène minimaliste de Nabucco : aucun chanteur ne devra être payé davantage que les techniciens de la machinerie ; les décors seront recyclés de l’usine Ford où travaillait le candidat. Les ouvriers licenciés donneront une nouvelle résonance au célèbre Chœur des Esclaves, revu au goût du jour tandis que, faute de budget, le candidat interprètera lui-même le rôle-titre, faisant rouvrir l’usine lors du grand final.
Fabien Roussel choisit de situer l’intrigue de La Bohême dans la France du Front Populaire : bamboche, pinard et saucisson viendront apporter une bonhommie bienvenue aux mansardes parisiennes auxquelles le public s’était habitué : « Oui ils ont froid et ils crèvent la dalle mais ça n’empêche pas de montrer la France des jours heureux » évoque la note d’intention. Le deuxième acte et l’air Quando men vo devraient ainsi être transposés lors d’un Apéroussel.
Jean Lassalle et Anne Hidalgo choisissent tous deux de monter La Flûte Enchantée mais avec un parti pris bien différent : dans les montagnes des Pyrénées avec Tamino en berger et Papageno dresseur d’ours pour l’un, dans le Paris contemporain pour la seconde où la Reine de la Nuit, taxi exerçant en grosse berline, demande à Pamina d’assassiner Sarastro pour l’empêcher de construire de nouvelles pistes cyclables. Heureusement le camp du bien triomphera !
Clin d’œil audacieux à l’actualité, Jean-Luc Mélenchon souhaite nous faire redécouvrir le chef d’œuvre de Moussorgski Boris Godounov. Dans sa mise en scène originale, par le jeu des hologrammes, il jouera plusieurs rôles masculins, mais en particulier le rôle-titre du despote éclairé : comme le précise la note d’intention, « les basses, c’est moi ! »
Yannick Jadot nous montre à voir un Faust qui a signé un pacte avec le diable : tant qu’il utilisera des énergies fossiles, il vivra comme un jeune homme. Hélas, malgré ses remords au dernier acte, au cours duquel il recouvre la scène de panneaux solaires, il ne pourra empêcher la mort de Marguerite, empoisonnée par l’odeur du compost voisin.
Eric Zemmour a imaginé une production de Parsifal (inspirée d’après lui de son histoire personnelle). Kundry, migrante algérienne transgenre, et Klingsor, imam intégriste, ont renié la France : c’est à Parsifal de sauver son pays en trouvant le Graal et en mettant fin au Grand Remplacement. Une attention particulière sera portée au choix des chanteurs et des instrumentistes : français depuis trois générations et prénom « gaulois », ce qui devrait exclure la prise de rôle tant attendue de Roberto Alagna.
Nicolas Dupont Aignan, s’offusquant immédiatement de ce choix d’un opéra étranger, opte pour une œuvre « bien de chez nous » avec une production très classique d’Orphée aux Enfers… avant de se rendre compte qu’Offenbach étant allemand au départ et de le remplacer par Le Chanteur de Mexico de Francis Lopez.
Marine Le Pen opte évidemment elle aussi pour un opéra français et choisit de monter Les Indes Galantes, après avoir hésité avec La Force du Destin dont la scène d’ouverture de meurtre du père lui parlait particulièrement. Ici l’idée est de montrer la grandeur de la civilisation française. Les tableaux en Perse et en Turquie permettent d’illustrer la vision nuancée de la candidate des cultures de ces pays, tandis que la célèbre Danse des Sauvages est dispersée manu militari par un commando de CRS.
Valérie Pécresse proposera une Carmen dans l’esprit Calixto Bieto : soldats et policiers y affronteront contrebandiers et autres délinquants. La troupe des figurants sera composée à part égale de bénéficiaires du RSA réquisitionnés et d’étrangers en attente de reconduction à la frontière. Toujours en faveur de l’économie française, la candidate propose également de prendre la parole sur scène pendant l’entracte, afin de gonfler le chiffre d’affaires de la buvette.
Enfin Emmanuel Macron, jugeant l’exercice « pas essentiel », ne s’embarrasse pas de l’originalité et préfère nous conseiller sa production de Turandot. Les décors chinois sont remplacés par le palais de l’Elysée (à l’exception notable des tigres !), mais le jeune héros a la même détermination que dans le livret et tant pis pour les victimes collatérales comme Liu, ici allégorie de la culture et de l’éducation nationale. Le « Vincero » de « Nessun dorma » n’aura jamais paru aussi prémonitoire !